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Suite de l'entrevue de la semaine dernière

Par Martine Laval

Maître-verrier et invitée d’honneur de l’exposition Montagne-Art

Voici la suite de l’entrevue avec l’artiste Lise Beauchamp, dont la première partie a été publiée dans la dernière édition d’Accès… 

«Quand je dis que je suis maître-verrier, les gens me disent: « Oh! moi tu sais, les vitraux d’église, j’suis pas capable! ». Pourtant il y a bien longtemps qu’on a passé le temps des vitraux d’église! De là ma production actuelle qui prouve aux gens qu’on peut créer à peu près n’importe quoi maintenant. On parle plutôt désormais de dimension, de volume, d’épaisseur. On a aujourd’hui des verres tellement extraordinaires.»

Maître-verrier c’est un titre, mais c’est avant tout du compagnonnage. Il faut avoir suivi des cours avec les grands maîtres, avoir exprimé sa philosophie, avoir également démontré qu’on sait couper du verre, un des exercices étant d’arriver à couper un cercle dans une grande pièce, sans la casser: «C’est là qu’il faut s’armer de plaisir, de temps et de nerf parce que tu te dis toujours que ça va t’éclater en pleine figure! Et c’est ÇA justement, mon défi en tant que maître-verrier: mettre dans mes oeuvres des cercles, des carrés (autre forme difficile puisqu’elle peut se fissurer aux angles) et des trucs amusants que je collectionne comme les agathes, les turquoises ou que je crée comme les gouttes de verre.» 

 

Comment arrivez-vous à vendre vos oeuvres, votre art?

«Ayant travaillé avec des ingénieurs et des architectes, je suis connue et reconnue à travers le Québec pour «des trucs qui ne se font pas!

Lorsque j’ai commencé mon compagnonnage on disait que pour un vitrail de plus de 3 pi² ça prenait des barres d’acier en arrière. J’ai nié la chose et me suis plutôt appliquée à démontrer qu’il fallait savoir créer. Je suis donc arrivée à faire des vitraux de 21 pi. de haut sans aucune armature d’acier. 

J’ai créé, en collaboration avec le grand scuplteur Jacques Besner, deux mobiles de 151 pi. de haut, entre deux tours à building. Le lieu était idéal avec ses immenses fenêtres par lesquelles le soleil pénétrait. D’immenses oiseaux composés d’une armature en aluminium dans lesquelles nous avions inséré du verre devaient tourner au gré de l’air ambiant. On a donc travaillé avec un ingénieur qui a créé un système de bering auquel chaque oiseau pesant entre 150 et 400 lbs et mesurant de 8 à 16 pi., est accroché, tous superposés les uns aux autres. Et bien les oiseaux tournent encore à ce jour, en cet endroit qui, de Roche-Bobois, est devenu l’actuel café de l’Université Concordia. 

J’ai aussi fait des créations privées entre autres dans une maison à Outremont: 42 portes et fenêtres en 52 fins de semaine. C’est passé dans Décormag!

J’ai également reproduit, tout en verre, la peinture Floraison automnale de Thompson pour un Docteur à Chelsey qui en était « malade ». Deux grandes portes de 3 pi. de large qui résultèrent en une oeuvre de 6 pi x 6 pi.! Quel projet! Toute une guirlande d’automne dans les rouges orangé dégradé, avec le lac bleu en fond. Un bijou d’oeuvre! Je suis rentrée dans mon atelier un jeudi soir et en suis ressortie le jeudi soir suivant. (Ma vieille voisine qui voyait ma lumière allumée toute la nuit, arrivait dans mon atelier au petit matin avec du café!) Tout était étalé à la grandeur de mon atelier: au-dessus de 7000 morceaux de verre dont j’allais me servir pour reproduire entre autres la multitude de petites feuilles entrelacées. Je n’ai fait que ça pendant 7 jours, presque nuit et jour… puis je suis allée danser. Lorsque je suis vannée mais que j’ai encore ce trop plein intérieur qui m’habite lorsque je crée avec une telle intensité, alors je danse et danse.

J’ai eu un véhicule motorisé pendant cinq ans dans lequel j’avais fait des vitraux pour mettre dans les fenêtres. Les gens me disaient: « Avez-vous vraiment des vitraux dans votre motorisé? »»

 

Comment mettre un prix déterminant la valeur de vos oeuvres?

«Ce sont ceux qui font du vitrail, qui sont en mesure de réaliser la valeur d’une oeuvre, ce qu’elle vaut en temps, en patience, en adresse manuelle. Le commun des mortels n’a pas idée de la technique et du défi immense que ça représente, à moins de m’avoir vue à l’oeuvre. 

Un autre défi de l’art du vitrail est que l’artiste travaille en aveugle. Une fois terminée, l’oeuvre absorbe la lumière mais lorsqu’on coupe, il faut se mettre à plat. On ne peut donc que supposer du résultat. On ne peut qu’imaginer ce que ça va donner en produit final, ce qui est très difficile, surtout lorsqu’on travaille dans des couleurs foncées. Il n’y a donc que la vision de l’artiste qui compte.

Je sais en tant qu’artiste, que je vais restée prise avec mes oeuvres pour un certain temps avant que les gens, réalisant la justesse de la valeur, décident d’en acheter. Il y a aussi le fait souvent que ce n’est pas la bonne hauteur, la bonne largeur, la bonne couleur… Je fais donc rire mes frères et soeurs bien habitués maintenant, je leur dis qu’étant donné que je m’apprête à acheter une nouvelle maison, je ferai d’autres trous puis je mettrai mes vitraux dedans!»

Loin des vitraux d’église et des lampes Tiffany, Lise Beauchamp défie toutes les règles de l’art en créant des oeuvres de verre d’une rare beauté. Elle dessine et colore la transparence, ravive la grisaille, tamise la lumière, intensifie l’ambiance de la nuit derrière laquelle se cache toutefois, l’intimité d’un lieu. 

Lise Beauchamp sera à la 26e exposition Montagne-Art à Saint-Hippolyte sous le thème Ombre et Lumière, les 19, 20 et 21 août, en tant qu’invitée d’honneur. C’est là qu’il vous sera possible de comprendre toute la grandeur, l’ampleur et la valeur de cet art très ancien réalisé de main de maître.

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