Mauvais lecteurs… mauvais auteurs?

Par Éric-Olivier Dallard

Je suis toujours ahuri quand je constate à quel point parfois, les plus mauvais lecteurs sont aussi… des auteurs! C’est sans doute le fait d’avoir une admiration sans borne pour les livres et ceux qui les font – je suis quand même le fils de deux professeurs de littérature! – qui contribue à mon désarroi face à cette question paradoxale: comment peut-on être auteur tout en ne sachant pas lire un texte?!

Ces dernières semaines les auteurs Pierre Schneider et Claude Jasmin ont tous deux fait une démonstration magistrale de leur pauvreté de lecteurs (à moins que ce ne le soit de leur mauvaise foi…)

Les deux réagissaient à la position d’Accès dénonçant les pratiques commerciales de Quebecor, pratiques qui mettent en péril l’existence de la presse indépendante et 150 ans de journalisme en région… une situation si critique que les hebdomadaires indépendants de partout au Québec viennent de se regrouper afin de la dénoncer.

Pierre Schneider d’abord, auteur du livre («subversif», selon ses propres termes) La trahison comme mode de mort. Cet auteur sauverois nous écrit: «Vous en êtes à accuser la Caisse de dépôt et de placements du Québec d’avoir investi dans Quebecor media. Et vous nous dites que nous finançons 45%, via la Caisse, avec nos taxes et impôts. Mais si la Caisse ne trouvait pas son compte dans cet investissement rentable, croyez-vous qu’elle ne retirerait pas ses billes? Ou préféreriez-vous que ses nouveaux dirigeants, la plupart anglophones unilingues, investissent, comme ils le font déjà, dans des entreprises étrangères où elles créent des emplois, en Chine, par exemple???»

Reprenons, voulez-vous, Monsieur Schneider:

1. Nous n’accusons pas la Caisse de dépôt «d’investir dans Quebecor» (comme vous l’écrivez), mais nous l’interpellons pour qu’elle rende des comptes sur ce que Quebecor fait avec cet investissement. Nuance importante que tout lecteur moyen aurait saisi! Nous disons seulement que cet argent ne doit pas servir à livrer des guerres déloyales sur le terrain à l’encontre d’entreprises non-subventionnées, des guerres qui mettent en péril de multiples emplois en région… et dans le cas des médias: des guerres qui mettent aussi en péril beaucoup plus que cela…

2. La Caisse, renseignez-vous!, dans son mandat, n’a pas pour seul objectif la rentabilité; quand ses investissements nuisent à d’autres entreprises en permettant financièrement de faire du dumping et de proposer au marché des prix irréalistes qui peuvent ultimement créer des monopoles, nous sommes en droit d’attirer son attention…

3. Mais où donc avons-nous écrit que nous pourrions préférer que la Caisse investisse dans des entreprises étrangères, comme la Chine?! Dites-moi où, misérable lecteur…

Évidemment, l’on comprend peut-être un peu mieux le piètre lecteur que fait Pierre Schneider quand il conclut: «Quant à votre défense de la liberté, je m’en étonne d’autant plus que vous avez boycotté un texte et une photo de mon dernier livre intitulé La trahison comme mode de mort! Pas une ligne pour un auteur de Saint-Sauveur, alors que votre concurrent de Quebecor a au moins eu la décence de publier un court texte accompagné d’une photo, même si le livre est subversif.»

Ah!, c’est donc cela le noeud du problème, Monsieur Schneider… Nous vous avons boycotté! Ben tiens! Ne vous est-il pas venu à l’idée que peut-être nous avions d’autres choses à couvrir alors, ou bien que cette parution nous a simplement échappé, ou bien encore que le tourbillon d’informations auquel est soumise notre équipe… Je crois qu’Accès a suffisamment prouvé au fil des ans son courage – et bien plus que toutes les autres publications réunies, j’en tiens de multiples exemples à la disposition de tous – pour ne pas faire l’objet d’insinuations qui n’ont aucun fondement.

Ensuite, Claude Jasmin. Dans sa dernière chronique, l’auteur adélois s’en prend à la position de l’éditrice Josée Pilotte (dont il ne sait pas orthographier le nom, et c’est un comble quand on sait que M. Jasmin a travaillé pour Mme Pilotte de nombreuses années!) sur la même question. Mais trêve de considérations sur la forme, passons au fond.

Alors là, M. Jasmin y va gaiement: il accuse Josée de dire que l’Empire nuit à la liberté d’expression! Hey Chose!, c’est l’émission Enquête qui a laissé entendre cela! Josée a écrit qu’un monopole de Quebecor nuirait à la diversité d’opinions. Nuance. Ensuite, l’auteur laisse entendre que nous nous opposons à la liberté de commerce et que si son hebdo veut offrir des pages publicitaires à rabais, ce n’est que du commerce. Quelle ellipse! Josée a écrit 1000 fois en toutes lettres que nous ne condamnons pas la concurrence honnête («Que ce soit clair: nous ne dénonçons pas la concurrence, mais seulement des pratiques commerciales déloyales….»)… mais bien celle qui est livrée par une entreprise qui bénéficie de fonds publics et dont l’argent sert à briser le marché en offrant des pages publicitaires très en-dessous du prix coûtant afin d’occuper le terrain! Nuance, nuance.

Je pourrais continuer sur bien des paragraphes. Je choisis sciemment de cesser là d’égratiguer ce cher Jasmin, dont la chronique vient brillamment confirmer à quel point, comme lecteur, il navigue à l’aveuglette.

Trois choses me puent littéralement (littérairement) au nez dans la vie: la méchanceté, la bêtise, la malhonnêteté intellectuelle. J’ai retrouvé les trois chez MM Schneider et Jasmin. De la part d’autres qu’eux, je n’en aurais pas tenu compte; de leur part à eux, j’en suis infiniment triste.

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