Champlain, les Montagnais et la tourtière
Par Cedric Leblanc
Tadoussac, 27 mai 1603, Champlain venu en Nouvelle-France à bord de la Bonne Renommée à titre d’observateur, est présent auprès du chef Montagnais Anadabijou qui y fait une «tabagie», c’est-à-dire un festin; Champlain y ramène deux «sauvages» (on les appelait comme tels à l’époque), qui avaient été en Europe avec les Français et qui vont faire part de l’accueil qu’il y ont reçu.
Champlain assis par terre, observe, ce qu’il a vu il l’a écrit et c’est ainsi que nous savons que tout d’abord des algonquines dansèrent, une danse lente, rythmée, et qu’elles enlevèrent leurs vêtements un à un,lascivement, jusqu’à ce qu’elles soient complètement nues, puis continuant à danser elles se rhabillèrent dans le même style…
Champlain n’en sera pas à sa dernière surprise alors que débute le festin où il mangea de l’«orignac» (orignal), du castor et du loup marin, puis voit-il alors les sauvages s’essuyer leurs doigts graisseux sur leurs chiens… chiens qui se retrouvaient souvent à la chaudière avec le chevreuil et l’orignal.
Pour l’instant un des sauvages ramené par Champlain harangue son peuple et leur dit qu’il a reçu un bon accueil en France et que le Roi «leur voulait du bien et désiroit peupler leur terre et faire la paix avec leurs ennemis (qui sont les Irocois)».
Après la harangue, il y eut un grand silence, et le chef ne pris la parole d’un ton modéré qu’après avoir pris du pétun (tabac) que l’on se passa de l’un à l’autre en le fumant.
Il répondit au Roi, que Champlain représentait alors: «Qu’il étoit fort aise que ladite Majesté peuplât leur terre et fit la guerre à leurs ennemis, qu’il n’y avoit nation au monde à qui ils ne voulurent faire plus de bien qu’aux François».
Champlain est impuissant et ne peut refuser l’offre subtile qui lui est faite de s’allier à ses hôtes dans leur guerre aux Iroquois, plutôt que la paix proposée par le Roi de France, car, pendant que le chef parle, Champlain et Du Pont Gravé ne peuvent s’empêcher de voir les quelque cent têtes d’iroquois coupées qui entourent le groupe (il s’agit plutôt de scalps, c’est-à-dire la chevelure, mais aussi souvent une partie du front ou du dessus de la tête, quelquefois des têtes entières…).
Les Montagnais, les Etchemins et les Algonquins viennent de vaincre les Iroquois, à la rivière aux Iroquois (la rivière Richelieu). Il ne pourra pas y avoir de paix avec les Iroquois.
Les Français doivent prendre partie et puisqu‘ils sont entourés de Montagnais, d‘Etchemins et d‘Algonquins…
Au nom du Roi de France, ils leur donnent leur amitié, l’alliance sera complète et les deux partis ne renieront jamais la parole donnée. Champlain n’avait pas le choix et d’ailleurs les Iroquois étaient en guerre avec tous, Hurons compris, pourtant de la même famille ethnique.
Quelques jours plus tard des Montagnais amènent Champlain à la chasse, ils ont vu et entendu les mousquets français qui les effraient, mais ils veulent voir leurs effets sur les animaux, Voilà qu’une volée de tourtes passe à proximité (les volées de tourtes pouvaient avoir près de 7 kilomètres de long et des centaines de milliers d’individus la composaient, elle masquait même le soleil).
Champlain décharge son arme, puis une deuxième et une troisième fois.
Au sol gisent maintenant près de mille tourtes (la tourte étant un oiseau de la famille du pigeon), les sauvages sont abasourdis du nombre d’oiseaux que Champlain a pu abattre seul, ils vont faire une autre tabagie de la chair des oiseaux abattus.
Mais ce que Champlain ne pouvait deviner c’est que la tourte, que les Français chasseront à l’excès, tout comme les Américains, va disparaître, elle sera exterminée.
Champlain, sans s’en rendre compte, avait initié la disparition de cet oiseau, qui n’a de nos jours au Québec, qu’un parent lointain, la tourterelle triste (peut être de la disparition de sa cousine…)
La chair de cet oiseau servit en effet dans les premières tourtières du Lac Saint-Jean, aujourd’hui seul le mot tourtière subsiste, et plutôt que de la chair de l‘oiseau, il y a du gibier et du boeuf haché, à moins bien sûr que la recette du Lac….
Alors, lorsque vous mangerez de la tourtière, pensez à notre ami Champlain, et dites vous que ce mets apprêter de nos jours de façon différente est peut-être devenu notre mets national, du moins a-t-il une histoire. Champlain, à qui nous devons l’ordre du Bon temps, vous souhaite de bonnes ripailles.