Aînés : passez à la caisse!
Par Journal Accès
par Jean-Claude Tremblay et Diane Baignée
Café White & Compagnie, Saint-Sauveur, une table, deux chaises et deux lattés, devant lesquels deux générations se sont rencontrées. La boomer Baignée et le X Tremblay se sont volontairement penchés sur cet épineux dossier qu’est celui de l’économie et des aînés. Nous voulions brasser des idées, car tous deux sommes inquiets de la place de nos gens plus âgés dans la société. Ce texte est donc le fruit d’une collaboration multigénérationnelle, et nous souhaitons par ce topo sensibiliser la population à des enjeux bien réels, touchant une tranche vulnérable et incontournable de notre patrimoine collectif.
Le sommet socioéconomique des Pays-d’en-Haut se tiendra au mont Gabriel le 13juin prochain. On y discutera, nous l’espérons, de la place des aînés et des enjeux socioéconomiques s’y rattachant. Dans l’esprit de valoriser les conditions des aînés de notre territoire et de faire bouger les décideurs, le X et la boomer lèvent le drapeau et présentent leur lecture commune de la situation.
Endettement épidémique
Selon l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), les personnes de 65 ans ou plus sont considérablement endettées. Au fait, elles reçoivent 8000$ de plus que si elles étaient bénéficiaires de l’aide sociale. Les aînés s’endettent chaque année et la situation ira de mal en pis. Une chercheuse de cet établissement prétend qu’« à moins d’avoir un très bon emploi depuis le début de sa vie active et d’être en mesure de rester au travail longtemps, il est pratiquement impossible d’avoir un revenu viable avec les seuls régimes de couverture publique. L’an dernier, les plus de 65 ans comptaient pour 12% des ménages ayant déclaré faillite, soit une hausse de plus de 20% en cinq ans.»
Scénario au privé: préparez votre porte-monnaie!
Nous nous sommes divertis à faire un petit calcul. Disons que vous quittez votre maison pour une résidence privée et que votre objectif est de maintenir la même qualité de vie qu’auparavant. Si vous êtes en couple et encore assez autonomes, vous devrez vous attendre à payer aux environs de 3500$ par mois pour l’hébergement, incluant parfois quelques repas. Vous êtes en santé, tout va bien. Or, si un jour vous avez besoin de soins infirmiers ou des services d’une préposée pour l’aide aux repas et au bain, alors des frais copieux seront ajoutés à votre facture mensuelle. Vous pouvez toujours faire appel aux services publics, mais êtes-vous préparé à vivre dans l’antichambre d’une liste d’attente d’un an ou plus?
Le scénario se rapporte à vos revenus de 18400$ par année. Déjà là, vous êtes dans le rouge de près de 2000$ par mois. Si vous avez contribué à un régime de retraite et que vous recevez des cotisations, vous serez un peu plus à l’aise. Mais ne tombez pas malade durant plusieurs années, car là, les services à la carte et les ressources au privé vous coûteront une beurrée! Si vous vivez seul, si vous êtes en perte d’autonomie et sans enfants, y avez-vous pensé? Et si vous deveniez centenaire?!? Avec tout ça, courez acheter un billet de loterie!
La morale de l’histoire, c’est le grand Deschamps qui l’a déjà prononcée: «Il vaut mieux être riche et en santé que pauvre et malade!»
Âge d’or, ou mines d’or
Les complexes pour retraités où on vous vend l’idée que vous cesserez de vieillir et que vous passerez votre temps à danser sur le bord de la piscine en prenant un verre avec vos nombreux amis multiplient les subterfuges mercantiles. La réalité, c’est que beaucoup d’entre eux sont passablement plus intéressés à votre portefeuille qu’à votre bien-être.
On vous fait miroiter une formule tout compris, haut de gamme et une vie de prestige. Mais, malgré l’apparence d’accessibilité quant aux coûts (à partir de 1200 et quelques piastres…), vous y verrez une liste exhaustive de services à la carte. Il est facile d’en arriver à un coût de 6000$ par mois. Il y a quelques investisseurs qui ont eu le «pif» et qui ont su attraper la balle au bond et, du coup, les bâtisses poussent comme des champignons.
Il y a tout de même inquiétude à y avoir. Qu’adviendra-t-il du parc de maisons unifamiliales des aînés qui s’en vont dans les villages gris? Qui les achètera?
La nouvelle stratégie commerciale des chaînes de grandes maisons de retraite consiste à attirer les personnes à partir de 50 ans. De plus en plus, ces complexes proposent des services multiples qu’on nomme « évolutifs ». «Tu entres debout, tu sors les pieds devant», telle est la devise de certains, mais ils ne vous le diront jamais ainsi. On remarquera aussi que les maisons offrant des soins deviennent physiquement distinctes des maisons pour personnes autonomes. «On ne veut pas voir la mort ou la maladie », s’exclament la direction et quelques résidents sous le couvert de l’anonymat.
Impacts psychosociaux
Nous vivons dans un ère où l’on crée des villages gris ou ghettos d’aînés. Ces résidences pour retraités offrent une formule «tout inclus» qui, au fait, rend plus captives les personnes dans leur milieu, réduit les initiatives, les déplacements et ampute leur autonomie. Comment pouvons-nous intégrer cette génération aux autres si nous les confinons sous un même toit et prenons en charge leur vie?
Des enfants financent déjà leurs parents. Le manque de places dans le réseau est criant. Et vous pensez qu’avec une population vieillissante le portrait va s’améliorer? Le gouvernement n’a déjà pas les moyens de répondre à la demande de services et est encore moins capable de retenir et de fidéliser son personnel soignant. On a beau former des superinfirmières, mais les préposés, sous-payés, sont la denrée la plus essentielle et la plus négligée. Alors que ferons-nous si, malgré notre bon budget, il n’y a pas de personnel souhaitant laver les aînés? Moins de jeunes sur le plan démographique et plus d’aînés – dans le mur, on va se ramasser.
Une piste de solution
Maintenant qu’on vous a déprimé, nous allons essayer de vous remonter le moral! Nous encourageons les municipalités à la mise en place de projets pilotes d’entraide communautaire et multigénérationnelle – la voie de l’avenir. Ce que nous avons en tête, ce n’est rien de moins que la mise sur pied de centres multifonction, qui rassemblent tous les besoins et permettent un échange de services intégrés basés sur un modèle de soutien et d’économie de partage.
De plus, l’idée de la cohabitation est une autre voie prometteuse. Le partage des tâches et des coûts et une présence permanente sous un même toit peuvent faire toute une différence, tant sur le plan humain qu’économique.
Conclusion du X
L’échange d’idées avec Diane, une femme riche d’expérience et qui a beaucoup à enseigner, m’a profondément touché. C’est une collaboration générationnelle innovante et franchement nécessaire. Le corps de ce topo est parfois un peu sombre, mais il aura permis de regarder vers l’avenir et de mettre en lumière la nécessité de revenir à la base. Mon père a été élevé par des générations multiples, ce qui a fait de lui un être éminemment plus complet. À moi aussi on a inculqué des valeurs d’entraide. Mes parents ne sont peut-être plus présents, mais mes tantes, oncles, cousins et cousines perpétuent et incarnent la solidarité humaine. J’espère pouvoir à mon tour être à la hauteur de mes aïeuls et ainsi perpétuer la tradition qui, tantôt, deviendra nécessité.
Conclusion de la boomer
En cours de réflexion, je pitonnais sur ma calculatrice afin de me faire un scénario personnalisé. Bon, il faut sourire et ne pas se décourager, mais disons que j’ai décidé de continuer de travailler quelques années!
Dans le temps de nos grands-parents et même avant, la communauté s’entraidait. Jos t’aidait à bâtir ta shed et Rita te montrait à faire du bon pain. Ce modèle est à mon avis le seul moyen de survivre dans le contexte actuel où il y a de si grands écarts de richesse. L’exercice en duo effectué avec Jean-Claude m’aura permis de réfléchir avec un plus large spectre.
Quand deux générations cogitent, ça fait des étincelles. Au-delà de la discussion qui nous a largement animés, il y a ce lien qui s’est créé. Chacun avec son bagage et ses lunettes. Un X et une boomer qui n’ont fait qu’un devant cette éminente inquiétude. C’est le plus bel aspect du parcours de cet article. L’association des générations est la clé. Ça débute là. Joindre nos idées, nos efforts pour rendre notre société meilleure et ainsi nous entraider.
3 commentaires
Vous êtes l’exemple parfait de gens qui pensent voir l’ensemble du portrait en regardant de l’extérieur. Je crois que vous manquer le bateau! Prenez de votre temps pour rencontré les gens qui y vivent et travaillent.
C’ est d’ailleurs ce que nous avons fait tous deux. Merci pour votre commentaire. Bien sûr que les propriétaires de résidences privées ne soutiendront pas notre réflexion. Nous avons certes fait nos recherches avant d’avancer de tels arguments.
Merci de votre commentaire, c’est une excellente consigne que vous émettez. D’ailleurs, nous avons consciencieusement tenté de la mettre en pratique avant la rédaction de cette chronique, qui est basé sur des données probantes, des expériences terrain et une lecture multi-générationnelle du portrait. Tout en respectant l’opinion de chacun, nous invitations les gens concernés à la même diligence, ainsi qu’à la même ouverture d’esprit.
Respectueument .