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La chronique à Mimi : une histoire

Par Mimi Legault

Il m’arrive souvent de me demander ce que deviennent les enfants qui ont souffert d’intimidation durant leur jeunesse. D’après quelques récits, certains sont devenus plus forts et d’autres traînent encore leur peine et le feront pour le reste de leurs jours. Je retiendrai une chose qu’un ado a dite un jour: prends une feuille de papier et froisse-la. Maintenant, essaie de la remettre lisse comme avant. Le cœur d’une personne est comme cette feuille de papier. Une fois que tu lui as fait mal, il est impossible de le retrouver comme il était. Voici l’histoire de Dolfi, dont l’idée première revient à Dino Buzzati.

À cinq ans, Dolfi attirait déjà l’attention, mais pas pour les bonnes raisons. Physiquement, rien ne l’avantageait. Alors que la plupart des garçons de son âge étaient blonds, l’air gaillard et dégourdi, Dolfi était chétif sur ses petites jambes maigres avec un teint si vert que ses compagnons se moquaient de lui et l’avaient surnommé «Laitue».

Ce jour-là, il était assis sur un banc au parc avec sa mère, Klara, qui tricotait. Il venait de recevoir un fusil en cadeau dont il était vraiment fier. Mais bon, il ne pouvait pas le comparer à celui de Max avec qui il aimerait bien être ami. Mais ce dernier semblait être le chef d’une bande qui ne voulait pas de lui. Non seulement Dolfi en était exclu, mais les garçons prenaient un malin plaisir à lui démontrer leur haine et leur rejet.

Dolfi était seul et avait choisi bien malgré lui cette vache de solitude qui lui étreignait le cœur. Sa mère lui dit:

– Mais pourquoi ne vas-tu jamais jouer avec d’autres amis?

– C’est pas mes amis, et puis ils m’appellent tous Laitue.

– C’est un beau nom, Laitue, répondit-elle sans trop réaliser la peine de son jeune fils. Franchement, je ne me fâcherais pas pour si peu.

Soudain, il aperçut le groupe de Max s’avancer vers lui et venir l’inviter à jouer à la guerre avec lui. Il n’en croyait pas ses yeux ni ses oreilles. Il était tellement content! Ils l’amenèrent non loin du parc sur un terrain accidenté, le nommèrent sur-le-champ commandant et lui expliquèrent le jeu.

Il y avait les soldats de Max regroupés d’un côté et ceux de son ami Walter qui devaient forcer un passage qui était en fait une allée étroite et descendante.

Le chef lui demanda de jouer à l’éclaireur, d’aller sonder le passage avec deux autres garçons qui se trouveraient derrière lui.

Dolfi vit bien le drôle de sourire que chacun portait, mais il se dit que ça devait faire partie du jeu. Alors il s’élança de toutes ses forces pour ne pas les décevoir. Il descendit la pente en courant et sentit son pied retenu à dix centimètres du sol. Là, précisément où Max avait tendu une corde.

Dolfi perdit pied, se cogna violemment le nez, échappa son fusil et déboula la côte. La gang l’attendait en bas. Ils le ruèrent de coups, lui lancèrent des boules d’argile mélangées à de l’eau dont l’une atteignit durement son oreille.

– Tiens, attrape, capitaine Laitue!

Ensanglanté, couvert de boue et de ridicule, il revint vers sa mère qui le regarda, horrifiée.

– Mais qu’est-ce que tu as encore fait?

Elle était furieuse contre lui au point de ne ressentir aucune empathie pour ce fils si différent des autres. Dans un éclair, elle l’imagina à vingt ans, toujours aussi frêle et maladroit, devenir un petit fonctionnaire sans trop d’avenir, travailler seul dans un bureau minable. Que deviendrait ce garçon terne dont elle était si peu fière?

Une dame passa devant eux. Elle caressa le visage de Dolfi, qui se remit à sangloter encore plus fort. Mais cela ne fit qu’accroître la honte de la mère, qui se leva brusquement. Elle prit vivement la main de son jeune fils et décampa. Elle salua d’un coup de tête la dame qui s’exclama en regardant Dolfi:

– Ah! ces enfants. Quelles histoires ils font pour rien! Au revoir, Mme Hitler!

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