Va jouer dehors!
Par Journal Accès
«Stephaaaaaane… Nathaliiiiiie… Stiiiiiive…
Viens souper!»
Ces deux mots entendus des millions de fois dans ma jeunesse, criés dehors sur le perron d’une porte, résonnent encore parfois dans ma tête, me reviennent aujourd’hui comme en écho, celui d’une époque tristement révolue à l’ère des jeux vidéos.
Une époque où le grand chêne devant chez moi sur la 70e avenue nous servait de refuge contre le bonhomme Sept heures. Je me souviens d’avoir passé des heures assise sur l’une de ses branches, qui m’enveloppaient quand je lui confiais un chagrin. Je me souviens de toutes les stratégies que nous développions, le tir-pois entre les dents, attendant impatiemment que «la grosse Lachance» passe sur le trottoir.
Une époque où les buissons derrière la maison étaient le tunnel magique qui a vu naître les premiers frenchs, qui a entendu les confidences, les commérages, et qui fut le témoin silencieux des complots visant la gang de la 69e avenue. Dans notre esprit, le buisson était la forêt amazonienne, un tunnel magique aussi long que le tunnel de la Manche. Nous vivions à une époque où la pire des punitions était d’être enfermé en-dedans, dans sa chambre, sans pouvoir mettre le nez dehors.
Parfois je m’entends dire: «dans mon temps, Chose…» Ben dans mon temps les bancs de neige étaient aussi hauts que les fils électriques, les rues étaient nos terrains de jeu (aujourd’hui on donne des tickets aux hockeyeurs de ruelles!); dans mon temps, on sortait à 8 heures, on rentrait à 5 heures, et sonnait toujours trop tôt la fin de la récréation: «Stephaaaaaane… Nathaliiiiiie… Stiiiiiive…
Viens souper!»
Comme dirait l’autre, les temps ont bien changé. Aujourd’hui, non seulement les enfants ne jouent plus dehors, mais ils conçoivent la chose comme la pire des punitions. Pourtant, j’ai pas l’impression d’être si vieille que ça (c’est vrai que j’arrive d’un autre siècle!); jamais j’aurais cru voir écrit un livre intitulé: Perdu sans la nature – Pourquoi les jeunes ne jouent plus dehors et comment y remédier (Québec Amérique)…
Obésité, déficit de l’attention, problèmes de comportement, Ritalin, désertion du sport dans nos écoles, décrochage sont tous des problèmes connus de la société technologiste et individualiste d’aujourd’hui, pourtant nous (s)avons la solution: «Va jouer dehors!»
Plus que jamais on nous renvoie l’image d’une jeunesse inactive, intellectuellement branchée sur la télécommande plutôt que sur les souliers de baskets; des jeunes qui sont le produit d’une société «sur-organisée», aux enfants à l’agenda de Premier ministre. Bref une société où l’ennui n’existe plus, cet ennui qui façonnait notre imaginaire, nous permettant de tout vivre, de tout rêver. Nous étions princesses un jour, astronautes le lendemain, et tous des Guy Lafleur.
J’ai beau réfléchir et retourner la question de tous les côtés, j’arrive toujours à d’autres questions: Si tout le monde s’entend sur les bienfaits du sport pour une société, alors pourquoi des projets comme un centre multisportif intermunicipal encouragé par le préfet Charles Garnier de la MRC des Pays-d’en-Haut depuis plus de 10 ans ne réussit pas à voir le jour? Pourquoi la piscine proposée par Michel Lagacé est balayée du revers de la main par ses propres citoyens?
Et si l’esprit de clocher qui sévit encore ici avait été le premier saboteur du projet, chaque municipalité l’ayant voulu absolument dans sa propre cour, ou pire, n’en ayant tout simplement pas vu l’utilité?
Et si nos élus étaient le reflet de notre propre obsession du «kit parfait»… nous on veut les skis paraboliques à 1000 piastres, le vélo à 5000$, les raquettes à 500$, pis la botte de marche à 400$.
Pas surprenant que nos élus veuillent une piscine à 7 millions dans leur cour.
Au fond, le vieux loup Charles Garnier avait vu juste, il faut un projet rassembleur pour l’ensemble de la MRC; pour ça, il faut qu’on cesse de faire des études de faisabilité (on le sait ce dont on a besoin), il faut que nos élus se regardent moins le nombril, regardent un peu plus nos jeunes, lèvent les yeux… c’est la meilleure façon d’avoir une vision.
Monsieur le Préfet, ressortez donc vos plans de centre multisportif… l’événement d’Accès Mes Laurentides de rêve l’a démontré: vos citoyens y ont dit l’importance du plein air, du sport, de la santé, de la jeunesse… j’crois que cette fois-ci vos maires ont compris.
J’vous le dis moi, Monsieur Garnier: un vieux loup, ça voit clair… et ça sait rebondir.