Trois générations, une même passion
Par France Poirier
Catherine Dornier partage une passion avec ses fils Émile et Florent Joubert : les voitures anciennes et surtout les jeeps de l’armée ayant servi lors de la Deuxième Guerre mondiale. Et cette passion lui vient de son père, Alain Dornier.
Son père l’a lui-même développée alors qu’il était enfant. Né en 1940, il vivait avec sa famille à Caen en Normandie. Tout jeune, les premiers véhicules qui l’ont marqué ont été les jeep de l’armée canadienne qui ont débarqué et libéré sa communauté, lors du débarquement de Normandie. « Cette fascination, il l’a développée, pas pour le côté négatif de la guerre, mais pour l’aspect positif qui représente une libération pour les siens », nous raconte Catherine.
« Pour lui, les vieilles jeeps de la Deuxième Guerre mondiale, c’était un point positif, puisque les bons venaient les libérer », ajoute le fils de Catherine, Émile Joubert, tout aussi passionné que ses prédécesseurs. « C’étaient les premiers véhicules avec lesquels il était en contact. Mon grand-père travaillait pour les relations entre l’armée française et l’armée américaine, et c’était son véhicule de service », explique Catherine. Ça représentait, pour le petit garçon en lui, la fin de la guerre et de la famine.
« Mon père a la même passion que mon grand-père maternel. Alors quand mes parents se sont rencontrés, il y a eu un match entre les deux hommes aussi. Mon grand-père faisait de la restauration de véhicules antiques et de la Deuxième Guerre mondiale, par passion », explique Émile.
L’enfance d’Alain Dornier a été de se promener en jeep en Normandie. Il a trouvé des grenades, des munitions, des pistolets et d’autres objets, témoins du passage de la guerre qui ne sont pas adaptés aux enfants, raconte fièrement son petit-fils Émile Joubert.
Quand il est arrivé au Québec, il a monté une collection avec tous les objets qu’il avait retrouvés en Normandie. Sa collection représentait l’un des plus gros musées privés au Canada. « C’était autant un musée d’artéfacts que de littérature, de cartes, de véhicules et de tout ce qu’on retrouvait dans ceux-ci : radios, remorques, différents équipements. C’était une caserne militaire. Quand on allait chez pépé et qu’on entrait dans cet espace, on entrait dans un autre univers », souligne Émile.
« Mon père est arrivé au début des années 60 au Québec. Ma mère me racontait qu’il avait acquis son premier Jeep alors que je n’étais pas encore née, et je suis née en 1972. Il l’avait acquise en 70-71 pour le restaurer. Alors j’en ai une et mon frère en a hérité d’une autre. Je la redonne à mes garçons, mais c’est plus Émile qui est manuel et qui travaille dessus », raconte Catherine. Il la gardait pour ses petits-fils. Les jeep sont de l’année 1942.
Une formation qui a changé sa vie
Émile a fait une formation au Centre d’études professionnelles (CEP) de Saint-Jérôme en carrosserie. « Je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire dans la vie, mais je savais que je voulais restaurer la Jeep de mon grand-père. Comme je ne voulais pas faire n’importe quoi, j’ai décidé de suivre un cours pour pouvoir refaire la carrosserie. Elle était due pour une peinture. Ça ne m’intéressait pas dans la vie, de faire de la carrosserie, mais ça m’intéressait de refaire la Jeep de mon grand-père », explique Émile qui a terminé son cours en 2018.
De fil en aiguille, un enseignant avec qui il est devenu ami l’a aidé à restaurer la Jeep. Ils en ont fait une partie à l’école. « Il m’avait dit que, si je terminais la restauration avant la fin de mon DEP, on allait faire un événement ensemble avec la jeep. J’ai aussi eu l’aide de mon père, et surtout des amis de mon grand-père. Quand celui-ci est décédé, ils m’ont pris un peu sous leurs ailes et m’ont appris l’introduction à la mécanique antique jumelée à l’aide de mon père. Ç’a été un bon départ pour moi », souligne Émile.
Spécialité en aéronautique
Par la suite, Émile a décidé de se spécialiser en aéronautique, où il s’est mis à restaurer des hélicoptères en sous-traitance pour Airbus. « Au départ, pour moi la carrosserie, je croyais que c’était uniquement des autos accidentées. Mais quand j’ai vu qu’on pouvait restaurer des hélicoptères vintages, c’est devenu une passion », explique le jeune homme. Puis le CEP Saint-Jérôme est venu le chercher pour enseigner la peinture. « Par la suite, Airbus m’a approché pour le Programme A220 à Mirabel. » Il est maintenant gestionnaire des ateliers de peinture à Mirabel.
Land Rover 1970 : deux ans de travail
Émile a acquis un Land Rover 1970 qui était très abimé. Il a mis deux ans pour le remettre en état. Il nous explique que c’est très coûteux et qu’il faut développer des stratégies. « Tu trouves des professionnels dans la province qui sont les meilleurs dans le domaine, et quand ils ont terminé, ils t’ont brisé tes pièces. Disons qu’ils te chargent 2 000 $ pour refaire ton moteur. Je me suis dit : combien de fois je peux me tromper si je le fais moi-même ? Au coût de 500 $ chaque fois, j’ai le droit à quatre erreurs », ironise Émile.
Il a dû faire ça pour pratiquement toutes ses pièces. Comme il l’explique, le Land Rover est fabriqué à base d’aluminium aéronautique, ce qui est impossible à souder. Ce sont tous des rivets aéronautiques aussi. « Je me suis amusé avec ce projet. J’ai pu joindre les notions de restauration d’hélicoptère, parce que c’est très ressemblant. En quatre ans d’utilisation, j’ai refait mon moteur et ma transmission. Et là, il semble être OK pour un bout », explique Émile.
Trouver les pièces
Les pièces ne sont pas difficiles à trouver, précise Émile. C’est plutôt le réseau à intégrer qui est difficile. « Il faut que tu connaisses Marcel de Joliette ou Guy de Boucherville ou Michel de Cabano au Nouveau-Brunswick. Puis, il faut que tu ailles les voir au Nouveau-Brunswick, en Gaspésie et que tu ailles jaser avec eux autres. »
« Puis là, quand tu as besoin d’une pièce rare, tu appelles ton chum Michel ou ton chum Guy. Même chose pour eux, si tu as des pièces en double, tu peux les aider. Souvent ces véhicules étaient récupérés par des cultivateurs après la guerre. Même chose pour le Land Rover, qui est un véhicule militaire britannique. Plusieurs traînent derrière une ferme », raconte Émile.
Pour la maman et le fils, tout comme le grand-papa, aujourd’hui décédé, ces véhicules relatent leur enfance à tous les trois. « Nous avons finalement tous les trois grandi dans ça », ajoute Catherine. On peut dire qu’ils sont tombés dedans quand ils étaient petits.