(Photo : Courtoisie)
Dans la chaleur persistante d’octobre, Jean-Simon Leduc improvise des recettes de survie en forêt.

Manger le territoire : sept jours de cuisine brute avec Jean-Simon Leduc

Par Louis-Philippe Forest-Gaudet (Initiative de journalisme local)

Dans le regard de Jean-Simon Leduc, il y a cette lueur particulière propre aux personnes qui ont vraiment eu faim. Pas la faim ennuyée du quotidien, mais celle qui prend racine dans le ventre, celle qui s’installe quand on se met réellement au défi de se nourrir uniquement avec ce que le territoire accepte d’offrir.

Quand je lui demande ce qu’il cherchait en partant seul pour sept jours et six nuits dans la forêt laurentienne, sans briquet et sans provisions, il ne prend pas de détours.

« Je voulais comprendre ce que ça fait pour vrai, dans le corps et dans la tête. Lire des livres de survie, c’est bien beau, mais tant que tu ne le vis pas, tu ne sais pas. »

Son rapport à la nourriture est né d’une quête de vérité : brut, organique, sensoriel, sans artifices. Un rapport qui rejoint la vision de Laurence Burton, spécialiste de l’alimentation forestière et autrice du livre Un goût de forêt.

Le goût du vrai

Ce qui surprend dans le récit de Jean-Simon, c’est sa mémoire sensorielle.

« Quand j’ai trouvé des glands de chêne, j’étais trop content. C’était sucré. Mon corps en réclamait. »

Ces moments deviennent des événements, surtout quand le corps n’a plus de glucose ni de réserves. Laurence Burton rappelle que le cerveau carbure d’abord au glucose, puis puise dans le glycogène et enfin dans la graisse. Jean-Simon l’a expérimenté pleinement.

Dans la chaleur persistante d’octobre, il improvise des recettes de survie : graisse de grenouille, ragoût de racines glanées au fil des pas, champignons grillés sur une pierre chauffée. Il rit de ses ratés : « Ça collait, ça brûlait, ça avait un goût d’écorce. »

Dans cette cuisine minimale, il y a ce qu’il appelle « la vérité du territoire », mais aussi ce que Laurence nuance : la forêt québécoise offre des sucres, vitamines et minéraux, mais pas assez de calories ni de protéines pour soutenir longtemps un corps actif. La rareté énergétique, Jean-Simon l’a sentie.

Une éthique qui nourrit autant que les aliments Sur la cueillette, son ton change. « En mode survie, la morale peut prendre le bord… mais j’essayais de respecter les règles. »

Il évoque la médéole de Virginie, plante vulnérable citée par Laurence. Il en cueille une partie, jamais tout. Sa ligne est nette : ne rien gaspiller, ne rien prendre en excès, laisser le territoire respirer. Cette prudence résonne avec les avertissements de Laurence : le Québec regorge de conifères utiles, de plantes nutritives, mais aussi de sosies mortels, comme les amanites blanches, les apiacées toxiques ou l’if du Canada. Même une résine comestible peut devenir laxative en excès. En forêt, la connaissance est souvent plus vitale que la nourriture.

Le cuisinier malgré lui

Trois cuisses de grenouille deviennent un repas. Une poignée de noix change un après-midi. Une racine amère devient presque émouvante. Jean-Simon transforme la faim en moteur de créativité.

Mais cette créativité a des limites physiologiques que Laurence rappelle : au bout d’un jour sans sucre, sans sel ou sans électrolytes, tout devient plus lent. Les déplacements exigent plus de calories que les plantes n’en fournissent. La forêt impose un rythme.

Ses repas deviennent des rituels : chercher des racines, repérer les grenouilles, vérifier les collets, attendre qu’une pierre chauffe assez pour cuire.

La présence qui ne s’éteint pas

Ce qui l’impressionne aussi, avec le recul, c’est la place du feu dans son rapport à la nourriture. En forêt, c’est une présence vivante. Il faut le créer, le protéger, l’alimenter, accepter qu’il dicte la vitesse et la forme même du repas. Jean-Simon raconte qu’il passait autant de temps à nourrir le feu qu’à nourrir son corps. Sans feu, pas de cuisson, pas d’eau potable, pas de chaleur, pas de répit. Le feu devient un compagnon autant qu’un outil. Il structure la journée, impose une forme de discipline douce et rappelle que cuisiner, dans son essence la plus ancienne, commence par apprendre à garder une flamme en vie.

L’héritage d’un séjour en forêt

Jean-Simon ne ramène pas un guide. Il ramène une manière d’habiter le territoire. Même en ville, les repas lui semblent différents : le goût du gras fondu sur la pierre, des racines, de la patience.

Sa conclusion rejoint profondément celle de Laurence : survivre n’a rien d’un fantasme romantique. Le corps s’épuise vite. Le froid exige un apport calorique énorme. Les végétaux ne suffisent pas longtemps au Québec. Et malgré tout, la forêt nous apprend à respecter, à ralentir et à observer.

Jean-Simon dit que la forêt ne donne rien sans effort. Laurence nuance : elle donne, mais jamais assez pour remplacer la chasse, la pêche ou les réserves si on reste longtemps. Les deux se rejoignent néanmoins sur l’essentiel : le territoire n’est pas une ressource, mais une relation.

Un repas de survie, c’est un repas d’humanité et un rappel que le confort que l’on retrouve en revenant n’a rien d’acquis.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *