Architecturer l’absence, La disparition du corps
Par liliane-ethier
Entrevue avec David Moore
Le 9 novembre, David Moore terminait le montage de l’exposition Architecturer l’absence, La disparition du corps, en cours au Musée d’art contemporain des Laurentides jusqu’au 6 janvier 2008. J’avais la chance d’être présente et David a eu la gentillesse de répondre à quelques questions, afin de partager un peu de sa flamme artistique. Merci infiniment! En lisant l’entrevue, imaginez- vous être berçés par la voix profonde de cet Irlandais d’origine, à l’accent mélodique et au regard d’un bleu intense, imprégné de sagesse et de douceur…
Comment qualifieriez-vous votre démarche artistique actuelle?
Mon approche de l’art est en quelque sorte une aventure du nouveau. Je cherche un territoire artistique qui n’a pas encore été exploré. Je veux être un pionnier, relever des défis, essayer des choses inconnues sans savoir si elles peuvent être réalisées, afin de vivre l’excitation du défi, de l’aventure. Par exemple, l’intégration de technologies multimédias à diverses œuvres d’art représentait pour moi une aventure intéressante au niveau des mélanges médiumniques.
Être artiste c’est faire confiance, savoir que d’une façon ou d’une autre tout peut arriver. L’artiste a le contrôle du médium, mais pas de l’émotion qui guide la réalisation. Il peut sentir une émotion de base mais en cours de réalisation, elle peut être tout à fait différente de ce qu’il pensait. L’artiste doit donc avoir l’humilité de se mettre dans une situation où il risque de ne pas tout savoir. Je crois que tout découle de l’intention de l’artiste à la base. Si il y a une intention, la réponse viendra sans savoir nécessairement d’où, parce que l’artiste est connecté à quelque chose de plus grand. L’artiste est quelqu’un qui facilite la communication avec une énergie plus grande.
Par exemple, pour Spirale, je me suis laissé guider par l’instinct parce que je n’avais pas d’idée précise de ce que je faisais, et pourtant, je le faisais. C’était la première fois que je sculptais un arbre entier, j’étais à l’extérieur et j’avais suivi une impulsion sans trop y penser. Puis j’ai réalisé que l’arbre allait pourrir dehors si je l’y laissais, je l’ai donc évidé afin de me permettre de le transporter à l’intérieur, et c’est seulement là que j’ai réalisé que j’avais sculpté une momie. Puis, un autre jour, je passais devant une ferme où il y avait du matériel d’agriculture traînant sur le terrain. J’ai été attiré par une grande spirale de fer et, sans savoir ce que je pourrais en faire, je l’ai achetée vingt dollars au propriétaire. Puis, arrivé à l’atelier, je l’ai déposée par terre, à côté de ma première momie de bois, et j’ai découvert que les dimensions des deux structures correspondaient parfaitement. J’ai alors senti que la spirale de fer devait aller à l’intérieur de la silhouette en bois, et que cette sculpture trouvait ainsi son achèvement. Quand je la regarde aujourd’hui, la spirale de fer symbolise pour moi le courant d’énergie qui traverse le corps humain.
Parlez-nous de votre sculpture
Entrer dans la douleur… Qu’est-ce qu’elle représente pour vous?
Les gens ne prennent pas au sérieux la douleur, l’isolement par la douleur.
Les émotions sont mobiles comme l’eau d’une rivière qui passe. Si on bloque le courant avec un barrage, l’eau ne peut pas poursuivre son chemin. De même, l’humain qui bloque ses émotions, qui refuse de les ressentir, a de la difficulté à avancer. Si une personne ne bloque pas ses émotions, elle leur permet d’avancer et d’évoluer. Notre culture en général n’accepte pas la douleur. Pourquoi ce besoin de fuir la réalité? Il ne faut pas avoir peur de vivre une chose difficile, puisque si on n’accepte pas le mal en nous, il reste en nous, et nous devenons notre propre prison. Toutes les émotions sont bonnes à vivre, les bonnes et les mauvaises. Si on veut arriver au bout de ce qui nous tracasse, on doit avoir le courage d’accepter les émotions difficiles. Réussir à les accepter, c’est aussi accepter la joie et la créativité. Être ouvert à l’art, c’est aussi être ouvert aux émotions ressenties.
Ainsi, les personnages sont recroquevillés sur le sol, dos-à-dos, et dos à eux-mêmes puisqu’ils sont séparés par un miroir.
Toutefois, l’œuvre en elle-même, même si elle traite d‘un thème douloureux, est porteuse de cette certitude d’amélioration de l’état d’être par la confrontation.
Et quelle est la symbolique de Fardeau?
Je pense que nous devons vivre dans le présent, se libérer des idées reçues et préconçues. Nous devons apprendre à regarder devant nous, sans arrières pensées et découvrir ce que les gens autour de nous vivent vraiment, sans en pendre la charge et sans juger. La sculpture Fardeau exprime la façon dont on porte parfois les opinions des autres sur nos épaules. Les personnages n’ont pas de bras, ils n’ont pas de moyen pour s’entraider, ils ne peuvent pas communiquer… On ne peut pas connaître les autres si on en prend le poids sur notre dos…
Y-a-t-il un conseil que vous aimeriez donner aux jeunes artistes?
Il faut que vous soyez prêt à soutenir un engagement à long terme, que vous croyez en vous-même, même si les portes auxquelles vous frappez pour avoir de l’aide ou des engagements ne s’ouvrent pas tout de suite. Il faut que vous soyez préparé à une maturation lente, que vous essayiez de voir l’art en terme de société, et que vous choisissiez bien vos modèles d’artistes à suivre pour leurs qualités d’ouverture d’esprit et esthétiques. Il faut que vous soyez prudent, que vous fassiez attention au marketing, afin que votre art ne s’accommode pas trop facilement des pressions de la consommation pour de petits succès à court terme.
Faites toujours les choses à votre façon, soyez toujours intègre, fidèle à vous-même, à votre style, à votre originalité, sans faire de compromis avec votre art. Il est sage d’analyser la situation artistique de votre milieu, de vous tenir bien informé de ce qui se passe dans le domaine artistique. Il n’y a jamais eu autant de formes d’art que maintenant, alors soyez ouvert aux différents médiums, n’hésitez pas à expérimenter, à croiser les disciplines artistiques et à innover. Je suggère aussi de lire Les lettres de Van Gogh de Gaston Bachelard et Les poétiques de l’espace de Joseph Beuys. Ce sont de très bonnes lectures pour s’encourager dans les moments de doute artistique, elles sont une source d’inspiration, de persévérance et d’espoir…
Pour nous imprégner de la magie de David Moore, le Macl nous attend du mardi au dimanche, de midi à 17 h. Pour plus d’informations faites le 450-432-7171.