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Écrivains de combat

Par mijanou-dubuc

Olivar Asselin? Jamais entendu parler. Claude-Henri Grignon? Oui, bien sûr. Valdombre? Ah, ce nom-là me disait quelque chose. La rue Valdombre à Saint-Léonard, quartier de Montréal fut le premier lieu d’habitation commune de mes parents en 1968. Je n’avais jamais posé la question à savoir qu’était-ce un Valdombre, encore moins qui était ce Valdombre. Aujourd’hui c’est fait. Olivar Asselin (1874-1937) et Claude-Henri Grignon (1894-1976), alias Valdombre, ont fait partie de ma vie l’instant de lire Olivar Asselin, pamphlétaire maudit qui vient tout juste de paraître aux Éditions Trois-Pistoles sous la direction de Pierre Grignon, neveu du célèbre romancier, journaliste, pamphlétaire aussi et scénariste pour la radio et la télévision. Voici ce qu’ils m’ont appris sur leur histoire et notre histoire.

Dans la préface, Victor-Lévy Beaulieu affirme qu’«en lisant Olivar Asselin, le pamphlétaire maudit, suivi de la correspondance entre deux des intellectuels québécois les plus grands de la première moitié du XXe siècle, c’est un grand pan négligé de notre histoire littéraire qui nous est enfin redonné, de même que les arcanes de la vie et de l’œuvre de deux polémistes». Olivar Asselin et Claude-Henri Grignon ont été des polémistes, de ceux dont la plume est une épée transperçant les mensonges, dévoilant ainsi au grand jour les supercheries fabriquées et les détours pris par de nombreux politiciens, personnalités et écrivains pour arriver à leurs fins. Les ennemis, cibles de Grignon et Asselin, sont les hypocrites, les menteurs, les manipulateurs d’opinion publique ainsi que «les littérateux».

Olivar Asselin, le redoutable

Asselin, fondateur de plusieurs journaux dont le premier fut Le Nationaliste fondé en 1904, avait le goût du risque et de la provocation – ce qui lui a d’ailleurs fait visiter les tribunaux plus d’une fois. Redoutable polémiste dès le début, il voulait avec ce journal «informer le public sur les décisions des dirigeants politiques ainsi que des raisons qui motivent leurs choix». Journaliste, pamphlétaire mais aussi homme politique, il fut sur toutes les tribunes pour dénoncer et écorcher, «nous débarrass[ant] d’un nombre incalculable de politicailleurs et de crétins» précise Claude-Henri Grignon. L’homme «au regard perçant, pénétrant, qui ne trompait pas», celui qui ne riait jamais, trempait sa plume «dans son encrier [qui] ne contenait pas d’encre. Jamais. C’était du sang, le sang de l’invective, le sang de l’injure personnelle, le sang de l’indignation, le sang de la colère, le sang de la Justice et de la Vérité». Olivar Asselin fut aussi celui qui révolutionna le traitement de la littérature dans les journaux: consacrer une page à la littérature, page à laquelle collaborait Claude-Henri Grignon de 1930 à 1933. À la tête du quotidien Le Canada, Asselin «fut le premier directeur d’un journal à payer pour un article littéraire. […] Et si nous avons, [en 1964] dans la plupart de nos quotidiens, une page littéraire, nous le devons au pamphlétaire maudit».

Ainsi, Claude-Henri Grignon nous raconte, s’adressant directement au lecteur, ce qu’il connaissait du redoutable Olivar Asselin. Et, c’est à travers ses mots, qu’il nous permet de se rapprocher un peu de lui-même, poète cartésien aussi méconnu que son ami et confident, le pamphlétaire maudit. Il termine son avant dernier chapitre avec cette affirmation: «Que ce soit en politique ou en littérature, il faut lire, c’est bien entendu, mais il faut surtout approcher l’homme, le connaître. C’est là un précepte élémentaire. Ça ne s’apprend pas à l’école. C’est la vie qui est le bon maître. Le seul maître». Et il ajoute: «Moi, j’ai eu deux maîtres: Olivar Asselin et la vie». Parcourant les multiples confessions que Claude-Henri Grignon fait au lecteur, on ne peut qu’être convaincu de l’importance et surtout de l’indissociable force de ces deux maîtres dans son œuvre. Puisqu’ici, il ne faut pas perdre de vue qu’il est autant question de Claude-Henri Grignon lui-même que de Olivar Asselin. L’amitié expliquant souvent la route de l’un et de l’autre. À la mort d’Olivar Asselin en 1937, Claude–Henri Grignon écrivit, à propos de son regretté ami, dans Les Pamphlets de Valdombre: «Il fut mieux qu’une date, il fut toute une époque».

Claude-Henri Grignon, poète cartésien

Le prénom du célèbre créateur des Belles histoires des Pays d’en Haut, est une composition de Claude pour Claude Bâcle – pseudonyme qu’il utilisait à ses débuts dans L’Avenir du Nord et qu’il affectionnait «pour la raison bien simple que, dans ses Confessions, Jean-Jacques Rousseau parle assez longuement d’un Bâcle» – et de Henri, une partie de son véritable prénom auquel il avait soustrait le Eugène qu’il avait hérité de sa mère, Eugénie Baker. Eugène-Henri étant devenu Claude-Henri. À la lecture de la correspondance (1922-1937) entre les deux amis et polémistes, nous assistons à la misère de Claude-Henri Grignon. Misère qui sera dissimulée tout au long de sa célébrité qui lui apporta le pouvoir politique et la notoriété que l’on connaît. Olivar Asselin lui est venu en aide plus d’une fois et, au-delà de l’amour de la vie et de la paysannerie, l’amitié et la présence de cet homme ont permis la naissance du roman de mœurs Un homme et son péché (1933) écrit dans la turbulence de jours noirs et affamés. Roman d’ailleurs, que Grignon qualifiait de «pamphlet contre l’argent» apprend-on dans le chapitre intitulé «La rencontre de l’avare» consacré, en quelque sorte, à la genèse de son célèbre roman. Au plus creux de sa misère en 1932, alors qu’il ne sait même pas qu’il écrira un roman célèbre et qui deviendra un classique québécois, il écrivit à Asselin en hommage à son amitié: «Si mon moral est tel qu’il doit m’arracher au désespoir je le dois à vous qui m’avez comblé du pain de votre cœur dans le plus terrible naufrage qui ait jamais secoué mon existence». Autodidacte et lecteur infatigable, Claude-Henri Grignon lisait beaucoup, écrivait beaucoup, travaillant à être cet écrivain de combat qui «se découvre à ce signe qu’il est naturellement courageux et qu’il pousse l’héroïsme jusqu’à l’audace la plus imprudente. Vivre dangereusement. Voilà sa noble devise». Ces mots ont été prononcés lors de son allocution prononcée à son entrée à la Société royale du Canada en 1962 y faisant l’éloge du pamphlet. Claude-Henri Grignon avait toutes ces caractéristiques. Il savait en user sans en abuser machinalement.

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