Un prof de Saint-Jérôme passe les «X» à la loupe
Par Thomas Gallenne
Une génération de sacrifiés, de cyniques, d’individualistes. Que n’a-t-on pas entendu sur la génération X. Une cohorte générationnelle qui se perdra dans l’oubli? Pas si sûr finalement. Dans son dernier essai, Stéphane Kelly, professeur en sociologie au CÉGEP de Saint-Jérôme, brosse le portrait d’une certaine personnalité collective de la génération X. Une génération ayant dû faire face à des défis de taille.
D’emblée, Stéphane Kelly fait la distinction entre les «tôt installés» et les «tard installés». «Les premiers quittent l’école après le secondaire, trouvant un travail et fondant une famille. Ceux-là vont avoir un parcours similaire aux baby-boomers, mis à part le déclassement, explique M. Kelly. Les seconds vont poursuivre leurs études, faute de débouchés professionnels dans des périodes de crise économique. Cette installation tardive va avoir une influence importante sur leur vie intime. Ils vont avoir plusieurs partenaires avant de trouver la bonne personne, ils vont connaître les ruptures, auront des enfants plus tardivement et en moins grand nombre».
Selon l’auteur, la génération X va «frapper un mur», pas seulement au niveau de l’insertion professionnelle, mais également au niveau de la vie intime. «Dans une société où les repères traditionnels ont éclaté, les jeunes adultes doivent s’inventer une vie de couple, familiale, sentimentale. Cela offre beaucoup de liberté mais en même temps, il y a un grand désarroi amoureux, familial et une grande instabilité», avance l’auteur. Selon lui, les X ont l’impression de vivre dans un monde éphémère, dans l’insécurité face à l’avenir. Il dit ne pas regarder le passé avec nostalgie mais note cependant que c’est la première génération ayant suffisamment de recul pour être capable de faire l’inventaire des éléments positifs et négatifs dans les grands changements des trente dernières années.
Le culte du mouvement
Durant les Trente Glorieuses, le mouvement était associé au progrès social.
D’après Stéphane Kelly, les X sont une génération moderne vivant un certain scepticisme voire un cynisme face au culte du mouvement ou du changement. «Aujourd’hui on sait que l’on ne va pas nécessairement vivre mieux dans 20 ou 40 ans, explique l’auteur. Peut-être même que l’on va assister à une détérioration de notre niveau de vie, sur le marché du travail ou dans notre vie intime. Peut-être qu’on réalise que le mouvement n’amène pas nécessairement du progrès social. La planète évolue de plus en plus vite depuis les années 1970 et finalement, l’ascenseur social est en panne». Selon lui, le nomadisme des classes supérieures, des «mondiaux» peut se vivre de manière positive. En revanche, le nomadisme des classes inférieures, vivant une précarité d’emploi, est une catastrophe.
Mouvement ou fuite en avant? «L’idée que la technologie va nous sauver, va élever le niveau culturel de la population, son niveau d’alphabétisation est questionnable. Jamais nos étudiants n’ont été aussi bien équipés. Pourtant, jamais n’ont-ils mis aussi peu le nez dans les livres», ajoute M. Kelly.
Les X: une génération sacrifiée?
«C’est difficile à prédire car il leur reste 20 ans de vie active sur le marché du travail. On ne sait pas ce qui les attend en terme de progression salariale, de niveau de vie», répond Kelly. D’après les observateurs, ces déclassés devraient avoir un destin moins prospère que leurs parents. Cependant pour Stéphane Kelly, ce n’est pas tant le déclassement qui est tragique, que la vie intime fragilisée dans ses bases. «La génération X a baigné dans son enfance, dans une société où l’on pensait que tous les rêves étaient permis. Or, ces membres ont fait le constat dès le début de l’âge adulte, qu’il y avait un écart entre les discours jovialistes des boomers et la réalité qui les attendait, poursuit le professeur de sociologie. Leur expérience de la survie a fait en sorte que les X ont réduit leurs attentes par rapport à ce que la société pouvait leur offrir». Selon Stéphane Kelly, dans cette lutte pour la survie, les X ont fini par développer une certaine force de caractère par rapport aux épreuves, aux obstacles rencontrés durant leurs trajectoires et ont fini par comprendre qu’il y a des limites à ce qu’une société peut accomplir. «On ne peut pas tout réinventer: la famille, l’école, l’amour». Et pour lui, cette identité collective – somme toute assez forte – s’est forgée au travers des épreuves communément partagées. «Ça a été une tentation de se présenter comme des victimes, mais finalement, la plupart des X a essayé de se faire une place au soleil comme individu».
Stéphane Kelly, À l’ombre du mur. Trajectoires et destin de la génération X, aux éditions du Boréal.