(Photo : Nordy - Davy Lopez)
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Controverse à Piedmont autour d’un projet de règlement de zonage

Par Alexane Taillon-Thiffeault

Un projet de règlement de zonage déposé par la Municipalité de Piedmont suscite une vive controverse. Présenté le 20 mai dernier et dont l’adoption est prévue dès la séance du conseil municipal du 2 septembre, ce règlement est dénoncé par plusieurs familles fondatrices et commerçants locaux, qui parlent d’« expropriation déguisée ».

Actuellement, le zonage en vigueur permet le développement de terrains d’une superficie minimale de 4 000 m². Le nouveau règlement porterait cette exigence à 40 000 m², soit dix fois plus. Selon Nicolas Raymond, directeur des opérations et copropriétaire du Domaine des Pays d’en Haut, une telle modification rendrait pratiquement impossible tout projet futur. « Passer de 4 000 mètres carrés à 40 000 mètres carrés, ça n’a plus de bon sens, c’est comme si on hypothéquait nos terres, donc c’est pour ça qu’on parle d’expropriation déguisée. Ça revient au même : on ne peut plus utiliser nos terres puisque la Municipalité a décidé de mettre sur pied un nouveau projet de règlement au nom de l’environnement », explique-t-il.

Cette modification toucherait plusieurs millions de pieds carrés appartenant aux familles Raymond, Lutfy et Boisclair, présentes à Piedmont depuis des générations. Les activités concernées vont des érablières aux centres de loisirs, en passant par des projets immobiliers en cours.

M. Raymond précise que la mesure affecterait non seulement son entreprise, mais aussi d’autres projets structurants. La famille Lutfy, par exemple, se verrait dans l’impossibilité de poursuivre certaines phases de développement déjà amorcées. Rappelons qu’en 2023, la Municipalité de Piedmont avait déjà fait une demande à la MRC pour ajouter le secteur de la ferme Lutfy à son périmètre urbain Ce site, transmis de génération en génération, est à la fois un témoin du patrimoine agricole local et un territoire en bordure de milieux humides jugés sensibles par la Municipalité. La famille Boisclair, de son côté, verrait ses terrains privés perdre toute valeur de développement futur.

« Ça s’est fait en un temps record »

Autre élément dénoncé : la rapidité du processus. Le projet a été déposé le 20 mai, suivi d’une assemblée spéciale début juillet, et doit être adopté en septembre. « Imaginez-vous, fin mai, le projet est lancé. Après ça, en l’espace de 8 à 10 semaines, tout serait entériné. Donc ils ont présenté leur projet, mais ils n’ont pas contacté directement les principaux intéressés pour dire que ça va avoir de gros impacts sur nos territoires. Un projet comme celui-là devrait prendre des mois à établir, pour rencontrer les personnes qui sont vraiment touchées par ça pour être sûr de bien faire les choses », souligne Nicolas Raymond.

Les familles fondatrices annoncent donc qu’elles préparent une action collective de plusieurs millions de dollars contre la Municipalité et le maire. Des cabinets d’avocats montréalais ont déjà été mandatés. L’objectif est d’obtenir réparation pour les pertes foncières estimées à « plusieurs centaines de millions de dollars ».

Une décision justifiée, selon le maire

Derrière la controverse sur le zonage, la Municipalité insiste sur un enjeu plus large : la nécessité de mieux protéger son territoire face à la pression immobilière. Le maire de Piedmont, Martin Nadon, a refusé les demandes d’entrevue d’Accès pour le moment, expliquant que le sujet est sensible et que « le promoteur a déjà mis la Municipalité en demeure par l’intermédiaire de ses avocats ». Il affirme toutefois, par courriel, que le plan d’urbanisme découle des engagements pris par Piedmont pour répondre aux cibles gouvernementales et régionales en matière de conservation.

Au Québec, le ministère de l’Environnement a fixé l’objectif de protéger 30 % du territoire d’ici 2030, une cible alignée sur les engagements internationaux de la COP15 sur la biodiversité. À Piedmont, environ 20 % du territoire était déjà protégé en 2023, mais le maire tenait vraiment à atteindre le 30 %. « On veut atteindre 30 %, ce qui est recommandé par les organisations internationales et le gouvernement du Québec. Mais le 10 % qui reste, c’est quand même beaucoup de mètres carrés. On devra faire de grands efforts pour atteindre 30 % », avait-il affirmé en entrevue avec Accès en mars 2024.

Or, Piedmont est une petite municipalité fortement boisée, où près de 70 % du territoire est déjà couvert de forêts naturelles. Pour l’administration municipale, limiter le développement immobilier sur de grandes superficies est donc une manière d’éviter l’étalement urbain et de consolider ces corridors verts. « Nos espaces naturels sont notre plus grande richesse, et il est essentiel d’en préserver la biodiversité et la beauté pour les générations futures. Le projet de plan d’urbanisme et ses règlements ont été élaborés non seulement en consultant la population et les promoteurs, mais en tenant compte également de l’expertise de juristes, d’urbanistes et de géologues chevronnés », souligne M. Nadon dans son courriel.

Les familles fondatrices, elles, rétorquent que ces cibles ne devraient pas être atteintes à leurs dépens. « Nous ne sommes pas contre la protection des milieux humides ni contre la préservation de la nature. Mais nos terres acquises depuis des générations, elles deviennent d’un coup impraticables », insiste Nicolas Raymond.

L’opposition dénonce le processus

Du côté politique, le conseiller municipal d’opposition Bernard Bouclin se dit lui aussi préoccupé, non seulement par le contenu du règlement, mais surtout par la manière dont il est mené. « La première consultation publique a eu lieu en mars 2023 avec les citoyens, puis après, pendant deux ans, on n’en a pas entendu parler. C’était le silence radio du maire, de son équipe et de l’administration. Et tout à coup, en mars puis en avril 2025, le maire Nadon a recommencé à mettre le plan d’urbanisme d’actualité. […] Et pour lui, il faut que ce soit terminé rapidement », affirme-t-il.

M. Bouclin critique aussi le calendrier choisi pour la consultation publique. « On a fait une consultation publique en plein milieu du mois de juillet. Bien qu’on ait réussi à déplacer 125 personnes, c’était pendant la période des vacances des citoyens, et pour les employés, c’était tout un défi. » Selon lui, le plan d’urbanisme « devrait être un document rassembleur pour les citoyens pour les 15 prochaines années, […] mais ça soulève beaucoup la grogne et la déception pour les citoyens parce qu’ils ne se reconnaissent pas à l’intérieur du plan d’urbanisme ».

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