« On profite du moment pendant qu’il est là, pendant qu’il passe. Il n’y a pas une journée où on ne rigole pas. Vraiment, on se fait rire aux larmes », raconte Simon Roy à propos de sa relation avec sa conjointe, Marianne. (Crédit photo: Courtoisie)

Simon Roy: Vivre sa mort

Par Simon Cordeau (initiative de journalisme local)

Ce matin de mai, le ciel est d’un bleu impeccable. Les montagnes sont de ce vert étincelant, presque jaune, unique au printemps. Et je me rends chez Simon Roy pour parler de la mort.

Simon a un cancer au cerveau. Il a eu une première opération, qui fut un franc succès. Mais il y a quelques mois, une IRM a révélé une autre tumeur. Celle-là est inopérable. « Présentement, je suis sur la chimiothérapie palliative. » Ma fin du monde est son quatrième livre. Ce sera aussi son dernier.

Écrit en dix nuits d’insomnie, son ouvrage parle de la peur et de l’impuissance, de la croyance et de l’espoir, et des « étincelles de bonheur malgré la maladie ».

« La peur s’accroche, tenace »

« Je n’ai pas peur de la mort. Même que j’ai recourt à l’aide médicale à mourir. Le moment venu, j’ai tout ce qu’il faut. […] Ça ne fera pas mal. C’est une piqûre. Cinq minutes, et tu n’es plus là. »

Simon semble serein face à la mort qui l’attend. Pourtant, son livre s’ouvre sur la peur. Il y explore ses multiples formes, de la crainte à la terreur, en passant par l’angoisse, la panique et le vertige. Il la raconte à travers, entre autres, La Guerre des mondes d’Orson Welles, diffusée à la radio en 1938 comme une réelle invasion martienne. Et il la raconte à travers ses propres expériences, comme les « esstraterresss » qui seraient apparus au-dessus de la Domtar, à Joliette en 1973, alors qu’il avait 5 ans.

Mais ce qui effraie Simon, ce n’est pas sa mort, inévitable. C’est plutôt l’inconnu qui l’attend, et l’impuissance qui l’accompagne. « J’ai peur de ce que je ne peux pas contrôler. […] Je peux, pendant notre conversation, faire une crise d’épilepsie. Je deviens comme un fou, je perds la raison. […] J’ai aussi peur de ne pas savoir comment ça va se passer. Ne pas être conscient, et que ce soit ma blonde et mes enfants qui décident que c’est fini. La peur, elle est là », confie-t-il.

Croire?

Dans son livre, Simon explore aussi la croyance et ses déclinaisons, de la naïveté à l’espoir. On peut croire à la vie après la mort, comme on peut croire aux extraterrestres ou aux phénomènes surnaturels. Simon lui-même était sceptique de ces phénomènes… jusqu’à récemment.

« Si c’était un cas isolé, on se dirait : bon, c’est une coïncidence. Mais il y en a trop. Depuis que j’ai ce que j’ai, avec des amis on se raconte des trucs. Et c’est fou le nombre de personnes qui ont des anecdotes crédibles. » Dans son livre, il parle de son oncle aux dons de guérisseur, et des expériences extracorporelles. C’est-à-dire sortir de son corps et le voir de l’extérieur, comme si on flottait au-dessus de soi-même.

Surtout, Simon se surprend à y croire. « Quand arrive la maladie, on se rabat sur toutes sortes de trucs. […] Plus tu te rapproches, plus tu espères qu’il y a plus, qu’il y a autre chose. C’est un espoir. »

Mais on peut aussi croire au fraudeur qui veut vous léguer son argent. Ou à une diseuse de bonnes aventures, comme celle que Simon est allé voir. « C’est moi qui lui ai dit que j’avais le cancer et que j’allais mourir. Elle aurait dû savoir ça, je pense », raconte-il avec ironie.

Une suite de petits deuils

Simon est content, mais surpris, d’avoir pu écrire Ma fin du monde. C’est le Décadron, un médicament pour ses traitements, qui le lui a permis. « J’écrivais de nuit, dans la chambre de ma fille. J’avais toute la nuit, parce que je ne dormais pas. De 1 h du matin à 8 h, j’écrivais comme un frénétique. »

Avant d’être écrivain, Simon est d’abord professeur de littérature au Collège Lionel-Groulx. Cruauté du sort, sa tumeur est logée dans la zone de son cerveau qui traite le langage. Avant de prendre du Décadron, il avait de la difficulté à nommer les choses et confondait les mots. Ça lui arrive encore, à l’occasion, mais il prend désormais ces « erreurs » avec humour.

« J’ai la chance, à l’automne prochain, de donner un cours. Mais comment je vais gérer ça, la correction? Ça me fait un peu peur », confie-t-il. Simon n’enseigne plus depuis son diagnostic, il y a 15 mois. Donner des ateliers de création et lire les textes des étudiants lui manque.

En attendant, il multiplie les entrevues pour ces livres, de Tout le monde en parle à Salut Bonjour, en passant par les radios, télévisions et journaux locaux. Il a aussi donné des conférences auprès d’étudiants. « À chaque fois, c’était galvanisant. Je ressortais de là sur un high. Oui, je suis écrivain, mais à la base, je suis un transmetteur. »

Toutefois, lire est devenu difficile. Il ne peut le faire qu’à petites doses. Et il ne croit pas qu’il écrira de nouveau. « Je ne pense pas que j’ai les facultés. »

« Ce sont des petits deuils. Ce n’est pas grand-chose, mais… » Simon hésite. « C’était pas mal ma vie, la lecture et l’écriture. » Sa moto, qu’il ne peut plus conduire, lui manque aussi. « J’ai une belle Harley et l’été, c’est l’fun quand il fait chaud », rêve-t-il.

« Des étincelles de bonheur »

« Ma blonde m’a gentiment offert : « Dis-moi ce que tu veux, dis-moi où tu veux aller. On y va, je te le paye. » Et ça ne me tente pas. Je veux juste être près de mes amis : voir le monde que j’aime, le temps que je pourrai en profiter. »

Simon se dit même « privilégié » de savoir d’avance que la mort l’attend. Il trouverait bien plus terrible que la mort le surprenne, comme son beau-frère, mort d’une crise cardiaque cette année.

« Je le gère. Alors que lui n’a pas pu prendre sa femme dans ses bras. Il n’a pas pu voir son garçon et lui dire qu’il l’aimait. Ç’a été soudain : il s’est couché et il ne s’est jamais relevé. C’est une bien pire tragédie que ce que je peux subir. »

Surtout, cela lui permet de parler ouvertement de la mort, et de faire du bien aux gens. « C’est incroyable le nombre de mes-sages que je reçois. » Par exemple, une dame est entrée en contact avec lui, sur Facebook, puisque son père de 77 ans a la même maladie que lui.

« Elle m’a demandé si je pouvais passer 15 minutes au téléphone avec lui, pour lui dire comment je vis ça. On a parlé une heure et demie! […] Même des gens en pleine santé me disent : « Tu me fais voir la vie d’un autre œil. » Parce qu’on prend pour acquis qu’on est immortel. »

Prochainement, sa blonde et deux amis organisent une soirée unique. Près de 200 invités, collègues, proches et amis se réuniront pour dire au revoir à Simon, avec musique, extraits de films et photos.

« C’est comme moi qui va assister à mes funérailles, avec du monde que j’aime. Ça va être trippant! Gérer sa mort : c’est le meilleur exemple. » Simon en profitera pour vendre quelques livres. Les profits iront à l’Hôpital Sainte-Justine, pour les enfants qui ont le cancer.

« C’est profiter de la vie, jusqu’au bout. C’est un pied de nez que je fais à la mort, en riant. »

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