« DÉPRESSION FACEBOOK »

Par Journal Accès

Nous… et les Autres

Ève Ménard, collaboration spéciale

Il y a quelques semaines, un vendredi soir, j’ai assisté à un spectacle au Centre Bell. Devant moi, une mère et sa fille de 16 ou 17 ans environ. L’adulte a dansé et chanté sans arrêt, tandis que l’adolescente a passé son temps à texter sur son téléphone. Elle ne portait presque aucune attention au spectacle et semblait s’ennuyer. Or, elle profita quand même de cette soirée pour envoyer quelques vidéos sur Snapchat à son entourage sur lesquelles, tout à coup, elle semblait avoir beaucoup de plaisir. Puis, dès que la vidéo était terminée, elle retrouvait son air morne et continuait à texter.

Quand je fais une sortie en ski avec des amis, la plupart s’assurent de prendre de belles photos pour les publier sur Instagram par la suite. Quand on s’organise un petit souper un soir, tout le monde s’assure d’insérer quelques vidéos ou photos dans leur story Snapchat. Quand je vais voir un match de soccer avec des amies, je suis certaine de retrouver des photos le lendemain sur Facebook.
Pourquoi toutes ces préoccupations? Pourquoi ne pas seulement apprécier le moment au lieu de tenter de l’immortaliser à tout prix? Parce que, pour les jeunes, l’image que nous projetons semble être devenue tellement importante. Dans une génération parsemée de jugement, le regard des autres a pris une importance démesurée.
Chaque fois que nous vivons un moment qui sort quelque peu de l’ordinaire, nous ressentons le besoin de le montrer à tous afin de prouver à quel point notre vie est belle et que nous sommes heureux! Nous souhaitons impressionner à tout prix et susciter des réactions. L’adolescente au spectacle ne s’amusait peut-être pas, mais cela, les autres ne le savent pas, n’est-ce pas? Alors, pourquoi ne pas leur faire croire le contraire? Comme cela, aux yeux de tous, elle aura l’air d’avoir eu beaucoup de plaisir en ce vendredi soir et d’avoir une vie bien remplie.
Nous commençons à agir pour les autres au lieu d’agir pour soi-même. Comment expliquer cela? Peut-être que les jeunes sont devenus si insécures qu’ils ont constamment besoin de l’approbation et de l’émerveillement de leurs pairs. Avoir du plaisir n’est plus suffisant. Il faut maintenant montrer à tout le monde qu’on s’amuse et à ce moment précis seulement, on se sentira bien. Pourquoi ne pas profiter un peu au lieu de tout partager?

Le gazon est toujours plus vert chez le voisin

Non seulement on accorde une importance démesurée à l’opinion des autres, mais pire encore, on se compare sans cesse. Les conséquences peuvent s’avérer être graves. Selon une étude réalisée en avril 2016 par des chercheurs de l’Université de Pittsburgh, les jeunes qui passent beaucoup de temps sur Facebook sont plus à risque de souffrir de dépression. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui la Dépression Facebook, un phénomène établi et vérifié.
Chaque fois que nous naviguons sur le fil d’actualité, nous risquons de voir un ami en voyage dans le Sud ou un autre qui assiste à un festival de musique. Et alors, on les envie. On les envie au point de croire que notre vie est ennuyante comparativement à la leur. Au lieu de se déconnecter et de sortir, justement, on préfère continuer à défiler vers le bas et on continue d’envier et d’envier. Nous sommes obnubilés par la vie idyllique que semble vivre notre entourage. Ces comparaisons provoquent même du stress chez de nombreux jeunes. Or, il ne faut pas oublier que ce qu’on voit sur Facebook, c’est loin d’être toujours représentatif de la réalité. On sélectionne ce que l’on veut bien montrer. Il est facile de donner l’illusion d’une vie parfaite. L’adolescente au spectacle en est la preuve.
Et ne me dites pas que cette habitude à envier notre entourage ne s’applique pas à vous. Il m’est moi-même arrivé de naviguer sur Facebook pendant une journée d’été et de voir des gens aux glissades d’eau ou en randonnée et de me demander ce que je faisais bien là à ne rien faire chez moi. Une autre fois, j’ai vu une fille qui, avec son équipe de soccer, avait voyagé jusqu’au Mexique pour disputer des parties et son équipe gagnait régulièrement les gros tournois. Je l’ai aussi enviée.
À ces moments précis, je ne me sentais pas bien avec moi-même. Je me demandais pourquoi je n’avais pas cette chance. Qu’est-ce que j’ai fait d’incorrect pour ne pas pouvoir jouer à un tel niveau? Est-ce que je devrais davantage profiter de la vie? Pourtant, j’en ai de la chance. Je suis choyée et je profite pleinement de la vie. Or, on est porté à l’oublier quand on défile vers le bas.
Quelqu’un, quelque part, fera toujours quelque chose de plus intéressant que nous. Mais si on ne le sait pas, cela ne peut pas nous atteindre. Je sais que je suis portée à me sentir de la sorte quand je navigue sur Facebook. Je sais que je peux être affectée par les exploits des autres. C’est pour cette raison que je passe très peu de temps sur cette plateforme publique. Mes amis me le reprochent souvent, car c’est toujours assez long avant que je réponde à leurs messages. Mais ça ne me fait rien parce que je suis persuadée que c’est mieux ainsi. Il n’est pas sain de vivre notre vie à travers celle des autres.
Envier son amie en regardant ses photos de voyage à Cuba ne nous achètera pas un billet d’avion. Envier notre cousine qui chante à tue-tête pendant le festival de musique sur les Plaines d’Abraham ne nous fera pas une place dans la foule. Envier un jeune athlète qui vient de remporter un trophée d’envergure ne nous propulsera pas en finale d’un tournoi important. Envier les autres ne nous apportera jamais le bonheur.
Il faut cesser de vivre à travers les expériences d’autrui et plutôt s’en créer pour soi-même. Ce sera toujours nous qui déciderons d’être heureux. Jamais les autres.

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