Activiste de la dignité

Par Jean-Claude Tremblay

Jeanne Maranda

On lui attribue plusieurs titres, nommément ceux de journaliste, de féministe, d’éditrice et d’auteure. J’en avais entendu parler, car il n’y a pas si longtemps la Laurentienne bien connue Jocelyne Cazin avait fait l’apologie de son legs, lui accordant mérite et crédit pour une carrière drôlement bien remplie.

Malgré tout ça, j’étais loin de me douter qu’ici même j’allais rencontrer une dame qui avait activement contribué à changer les mœurs de notre société, à travers des années de lutte acharnée pour éduquer et dénoncer la violence, l’iniquité et le sexisme envers les femmes dans les médias et les publicités. Elle n’est pas friande d’attention et pourtant, c’est tout le paysage de notre collectivité qu’elle a contribué à modifier. Rencontre avec une résiliente, une militante naturelle, pertinente et brillante: Mme Jeanne Maranda.   

D’abord, il faut comprendre que MmeMaranda est à la lutte contre le publisexisme ce que Gilles Vigneault est à la poésie: un trésor national. Digne, debout et solide comme le chêne du haut de ses 92années de maturité, je m’estime privilégier d’avoir pu converser avec cette femme-encyclopédie qui s’exprime avec beaucoup de répartie et avec une lucidité admirée. Elle fait partie de ces premières vagues féministes, car elle a osé dénoncer et a activement milité pour que l’on cesse de rabaisser celle qui n’est pas l’égale de l’homme, mais bien l’égale d’elle-même.

Un parcours richissime et significatif

Comme on peut l’apprendre dans son livre On m’dévisage, Mme Maranda a mis sur pied un magazine féministe bilingue au début des années 1980, alors étudiante en «Études de la femme » à l’Institut Simone de Beauvoir de l’Université Concordia. Ce projet allait jeter les bases de son implication phare dans l’organisme pancanadien Évaluations-Médias/ MediaWatch. Parmi les missions de son important mandat, ce collectif, qui faisait office de référence crédible et résolument féministe, surveillait, répertoriait, éduquait et décriait les injustices qu’étaient celles de la sous-représentation des femmes dans les médias, et leur surreprésentation dans les publicités sexistes de l’époque.

De là, elle a cofondé MédiAction dans les années 1990, qui avait une mission identique, mais plus ciblée et complètement autonome. Cette dernière allait d’ailleurs unir ses forces avec une organisation internationale basée en France dans les années 2000, la Coalition nationale contre les publicités sexistes, née en 2008, et qui depuis quelques années et à son grand soulagement, assure le relais de son héritage.

Vous aurez compris qu’avec un tel CV, je manque d’espace pour énumérer tous ses accomplissements, alors je vous invite à lire son livre! Pour conclure ce segment, notons qu’en 2000, elle est nommée Femme de l’année par le Y des femmes de Montréal et reçoit la Médaille du jubilé de diamant de la reine Elizabeth II en 2002, sur une proposition du Conseil national des femmes du Canada – rien que ça!

Confidence volontaire

La confession qui suit va peut-être vous paraître bizarre dans le contexte du présent topo, mais il existe un pendant féministe qui m’a toujours profondément agacé, et dans lequel je n’ai jamais embarqué: celui qui divise au lieu de rassembler. Je n’ai jamais cru que descendre l’homme pour remonter la femme servait qui que ce soit. Peut-être parce que j’ai grandi entouré de femmes fortes et inspirantes, peut-être parce que ma virilité a toujours côtoyé la fierté de mon côté féminin, totalement assumé. Or, la cause que défend Jeanne Maranda a beau être féminine, elle n’a jamais mené ses actions dans le but de favoriser un sexe par rapport à un autre, elle l’a toujours fait dans une optique de lutte contre le sexisme, pour la dignité et l’égalité, jamais pour affirmer ou revendiquer une quelconque supériorité.

Celle que je ne peux qu’appeler «Madame», est un casque bleu qui milite activement et pacifiquement pour que les êtres humains prennent conscience de la dangerosité des mots «exploitation» et «hypersexualisation», surtout lorsque les deux font la paire.

Une lutte à finir

Elle et moi sommes bien d’accord, il reste du chemin à faire, surtout lorsque l’on regarde comment certains publicitaires et leurs clients continuent à vouloir nous vendre des concepts sexistes et stéréotypés au possible. Ce qui m’attriste, et je crois pouvoir parler aussi au nom de mon invitée, c’est que le combat n’a plus seulement maille à partir avec les femmes et l’exploitation de leur corps, mais aussi avec les hommes. Ces derniers, lorsqu’ils ne sont pas presque nus pour nous vendre un parfum ou portant seulement un casque sur un calendrier, passent pour d’illégitimes attardés mentaux dans les séries et les publicités. On joue sur les sous-entendus sexuels pour vendre poutine et voitures, et on expose même notre petite enfance à toutes ces visuelles ordures.

Avec de plus en plus de pouvoir dans les mains des consommateurs, qui se transforment en producteurs et diffuseurs au service de leur « Facebook et YouTube lovers», triste est de constater que la pudeur n’a souvent sa place que dans le dictionnaire. Il faudra compter sur une nouvelle génération de Jeanne Maranda, des femmes et des hommes qui, à leur tour, porteront bien haut le flambeau dignitaire que ma précieuse invitée a contribué à allumer.

En conclusion

Elle a beau avoir dénoncé les iniquités touchant les femmes, ce que Jeanne Maranda a réussi à faire au final, c’est d’élever le niveau de conscience collectif en envoyant un message qui transcende les genres. Je n’ai pas rencontré une légende de 92 printemps, j’ai rencontré une âme profonde et sans âge, une âme résolument libre, empreinte d’une mission foncièrement altruiste. Une force de la nature et gardienne de l’image qui, avec son énergie renouvelable et son héritage bien vivant, continuera de nous éclairer encore longtemps.    

Le livre On m’dévisage: 25 ans de lutte contre le publisexisme, par Jeanne Maranda, est en vente à la Librairie Lu et relu située au 200, rue Principale, à Saint-Sauveur, un endroit où vous pourrez parfois la rencontrer, en train d’aider ou de simplement bouquiner.

1 commentaire

  1. Je sais pas si tu as vu ce reportage dans Accès. Jeanne Maranda sera présente au salon des artisans. Article paru début août pour ton info

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