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Faut-il marquer les pauvres?

Par claude-jasmin

Dans mes entourages on semble souvent se questionner sur le principe d’universalité en matière de mesures sociales de l’État. «Pourquoi ces mesures de gratuité à des gens riches et très capables de payer… ceci ou cela?» Étonnant de voir cette surprise, ce désaccord, chez certains chroniqueurs pourtant instruits. Tel un Alain Dubuc récemment. À première vue, certes, il semble farfelu d’offrir tant de services gratuits à des bons gros bourgeois. C’est oublier un fait: ces salariés à longs chiffres crachent à l’État des impots et, souvent, plantureux. Le remède donné, le service offert gratuitement —et quoi encore?— représente une remise infime, ridicule, par rapport aux paquets de dollars versés chaque année au fisc pour la solidarité commune.

Tel Crésus va bénéficier de quelques centaines de piastres alors qu’au moment de faire son rapport annuel au fisc, ce sera des milliers et des milliers de dollars qu’il doit verser en vue de collaborer aux écoles, hôpitaux, réseaux routiers etc. Je ne dis pas que le Big Shot crache avec plaisir, oh non!, mais c’est la loi — avec ses tables de calcul automatiques — et il fait ses chèques aux «deux» ministres du revenu. En maugréant? Oui mais il crache par peur de la gendarmerie fiscale.

Or, ceux qui gueulent à l’injustice face aux «cadeaux publiques» pour les riches doivent bien savoir que faire autrement c’est ouvrir des bureaux examinateurs avec plein de bureaucrates salariés… afin de dresser des listes: ceux qui sont pauvres, ceux qui sont triches… Ou un peu moins riches, un peu moins pauvres, etc. Voyez-vous bien la pléthorique machine bureaucratique?

Mais il y a encore pire et bien plus grave: dans cette société à surveillants multiples, il y a le risque de «marquer» les pauvres. Car, tout se sait tôt ou tard dans la cité, le village. Rapidement, pas seulement le facteur, les voisins apprennent qui sont les pauvres. Cela serait vraiment triste. À part un petit pourcentage de fraudeurs (il y en aura toujours), les malchanceux du sort, les bénéficiaires des maigres faveurs de l’État ont-ils besoin d’être distingués? Pourquoi pas une étoile jaune cousue sur leur linge quand ils iront à la pharmacie ou chez le dentiste, etc.? Tant qu’à y être pourquoi ne pas, au jour de l’émission de l’argent publique, les faire mettre en ligne avec une pancarte au cou dans un lieu public. Le parking d’un centre commercial, tiens! Pour bien les montrer du doigt au moment de la distribution des chèques?

L’anonymat relatif du système dit de l’universalité protège les mal pris. Tout le monde — d’un peu humain — doit comprendre que les indigents n’ont nul besoin d’être distingués du commun des mortels. On sait que des tas de gens aux moyens pires que chétifs n’osent même pas aller quémander des effets essentiels, utiles à la survie, à «Jeunesse au Soleil», ou ailleurs. C’est un fait connu. Le pauvre a sa vanité, comme vous et moi. C’est dur de quêter et il l’ignore souvent celui qui n’a jamais eu à le faire. Je ne parle pas des certains jeunes «bohémiens» volontaires de certains coins de rue. Mais oui, il y a aussi des fainéants et des paresseux, c’est inévitable. À part cette minorité de profiteurs, la majorité des vrais pauvres n’a pas besoin d’être montrée… comme au cirque.

Laissons donc notre minorité de «très riches» encaisser le chèque «universel», par exemple pour ses enfants; on sait bien qu’elle a les moyens de payer mais, répétons-le, la situation actuelle fait que «nous ne marquons pas» nos pauvres. On dirait que tous les Alain Dubuc du territoire sont nostalgiques de ces vieilles institutions — qui humiliaient ma mère pauvre un temps — ces «St-Vincent-de-Paul» de paroisse. Nostalgiques d’un monde à «dames patronnesses» (moqué par Brel), monde criard à «guignolée criarde», à tombola de vieux curé. Dubuc, scripteur stipendié grassement aimerait aller s’y pavaner en capot de chat et, hautain et fier, cueillir les « mercis-mon-bon-maître» de la part des pauvres hères.

Hélas des Libéraux à Québec, influencés par les grosses caisses de résonance droitiste, songent à changer l’universalité. Danger! Vive le système actuel, anonyme, de distribution des mesures sociales actuelles et puis vive aussi le gras-dur qui crache, à chaque mois de mai nouveau, son pactole à la solidarité obligatoire. Il grogne mais il paie; àà Sainte-Adèle, en 1900, le maire Séraphin le râlait: La loâ c’é la loâ».

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