Le dossier du Manoir de la Pointe Bleue hante le CSSS
Par nathalie-deraspe
Il y a trois raisons de sauvegarder le Manoir. Le bâtiment a une charge historique importante, c’est un des premiers témoignages architectural du Québec et c’est une institution pour la communauté de Sainte-Marguerite. Nous sommes persuadés que cet ensemble peut être un moteur économique et une plus-value pour la ville.»
– Jean Damecour, architecte et président
de la Société d’Histoire de Sainte-Marguerite
Le Manoir de la Pointe Bleue de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson est au cœur d’une véritable saga juridique qui ne semble pas prête de se terminer et ce, même si la Ville vient de déposer une seconde offre d’achat en vue d’accommoder le promoteur Robert Varin, de St-Luc Habitations.
Difficile de dégager le vrai du faux dans le dossier du Manoir de la Pointe Bleue, un bijou architectural que tentent de protéger la Société d’histoire de Sainte Marguerite et un Comité de sauvegarde mis sur pied il y a plus d’un an.
Construit en 1937 par l’architecte Antoine Courtens, récipiendaire du Prix de Rome, le bâtiment abrite toujours une clientèle en lourde perte d’autonomie jusqu’à ce que celle-ci ne soit relocalisée dans le nouveau CHSLD de Sainte-Adèle.
«Il y a trois raisons de sauvegarder le Manoir, avance l’architecte et président de la Société d’Histoire de Sainte-Marguerite, Jean Damecour. Le bâtiment a une charge historique importante, c’est un des premiers témoignages architectural du Québec et c’est une institution pour la communauté de Sainte-Marguerite. Nous sommes persuadés que cet ensemble peut être un moteur économique et une plus-value pour la ville», de poursuivre M. Damecour.
Le président de la Société est impliqué de près dans le dossier du CHSLD. C’est lui qui a dessiné les plans et devis du nouvel édifice de Sainte-Adèle. Loin d’y voir un conflit d’intérêt, l’architecte se dit capable de relativiser l’un et l’autre des dossiers en jeu. Bénévolement, il travaille à analyser les champs d’usage qui pourraient permettre de prolonger la vie du manoir et ce, même si sa vente semble imminente.
«C’’est une situation qui me bouleverse, renchérit le Dr Robert Lavigne, un villégiateur largement impliqué dans la construction d’habitations à loyer modique (HLM) pour personnes âgées à Montréal et membre de la Société d’histoire de Sainte-Marguerite. Personne ne veut investir temps et énergie mais soyons objectifs, ce bâtiment pourrait servir à une clientèle moins lourde. Pourquoi le CSSS est-il si pressé de vendre, le contrat de construction n’a pas encore été signé», s’exclame le praticien.
Pas d’éléphant blanc
Le maire de la ville se défend bien de vouloir démolir le bâtiment en litige mais craint de rester coincé avec un éléphant blanc que des squatters auront tôt fait d’investir. «Je suis le premier à vouloir conserver le manoir, affirme le magistrat. Mais quand je demande un certificat d’autorisation pour l’exploiter pour des personnes âgées et un autre de la Régie du Bâtiment ou encore une lettre d’intention du ministère, ça se limite à une déclaration verbale. Si on achète le manoir, c’est pour avoir un contrôle sur ce bâtiment.»
Accusé de part et d’autres de vouloir accommoder un promoteur au détriment du bien commun, André Charbonneau est «marqué au fer rouge dans sa propre municipalité». Faisant allusion aux pertes successives du Manoir l’Estérel et de la Résidence Sainte-Marguerite, le maire aurait souhaité, selon ses dires, pouvoir conserver des acquis communautaires pour sa ville. «Ils sont partis comme des voleurs et nous ont rien laissé», a-t-il laissé tomber.
Dès le 29 janvier 1985, le Conseil du Trésor du Québec a déposé un règlement sur la disposition des immeubles excédentaires. Une partie des terrains avoisinants le manoir avaient alors été offerte à différents ministères et organismes parapublics, pour finalement être proposés à la Ville. Le gouvernement avait alors exigé que cette dernière aille en appel d’offres. C’est alors qu’Habitations St-Luc, dirigé par Robert Varin, est apparu dans le décor.
Malgré les délais écoulés depuis, il semblerait que ce promoteur ait toujours priorité dans le dossier, au grand dam d’Investissements Olymbec ltée qui, sous l’égide de Richard Stern, déposait par télécopieur une offre de dernière minute le 26 avril dernier, soit près d’un mois après une première offre de Sainte-Marguerite, qui avait été refusée sous prétexte qu’elle contenait une tierce partie, en l’occurrence les Habitations St-Luc. La ville est revenue à charge le 2 mai avec une nouvelle offre en règle, qui doit être analysée par les services juridiques du CSSS dans les prochaines semaines.
En 1993, date d’entrée en fonction de la directrice générale Jacqueline Gagnon, le Conseil du Trésor avait entériné la vente desdits terrains mais dans les jours suivant l’offre d’achat de Sainte-Marguerite, la Régie régionale de la santé avait fait volte-face et décidé de réexaminer de fond en comble le dossier. Quinze ans plus tard, les promoteurs perçoivent avec intérêt le potentiel de développement économique de ce secteur, tandis que d’autres débattent de projet culturel ou communautaires qui permettrait de sauver le manoir d’une démolition certaine. «Si on ne réussissait pas à s’entendre avec la Ville, le Conseil devrait à nouveau aller en appel d’offres public», confie Jacqueline Gagnon, qui a assuré de vouloir mener ce dossier aussi loin qu’elle le pourra. «C’aurait dû être signé en ’95», clame le maire André Charbonneau, qui ne s’explique toujours pas la lenteur des négociations dans le dossier. Les jours qui suivent s’annoncent cruciaux, tant pour les promoteurs que pour les défenseurs du Manoir, un dossier qui continue de hanter bien des gens.