Nancy Audet : « Ce sont nos enfants »
Enfant, Nancy se retrouve dans un bureau de la DPJ, à la suite d’un signalement. Avant même d’avoir entamé les discussions avec les deux intervenantes présentes, sa mère se lève. « De toute façon, je ne veux plus de cette enfant-là.
Trouvez-lui une autre famille. »
La honte et le manque d’estime ont pesé longtemps sur les épaules de Nancy Audet, qui a œuvré comme journaliste pendant 17 ans pour les réseaux TVA et Radio-Canada. Bien qu’elle s’épanouissait à travers sa carrière, derrière cette façade se cachait une enfance bouleversée par de la violence physique et psychologique, des passages en centre jeunesse et en famille d’accueil et des tentatives de suicide. Dans son entourage, elle entendait souvent des collègues parler de leur mère comme leur plus grande admiratrice. Dans des moments comme ceux-là, il arrivait à Nancy de se réfugier dans un coin pour pleurer.
Les séquelles sont demeurées vives, même une fois adulte. Le cheminement est long et ardu pour réapprendre à s’aimer. Surtout lorsque les personnes qui sont sensés t’aimer le plus… ne l’ont pas fait. Par l’entre-mise de son livre, « Plus jamais la honte : Le parcours improbable d’une petite poquée », Nancy Audet se libère de son passé et offre des pistes de solution pour le futur. Aujourd’hui, l’auteure est marraine d’enfants pour la Fondation du Centre jeunesse de Montréal. Son combat est loin d’être terminé : il faut absolument changer les perceptions et recentrer l’enjeu vers une responsabilisation collective.
Briser le cycle
Bien qu’elle soit aujourd’hui mère d’une petite fille de 5 ans, Nancy Audet a longtemps hésité à avoir un enfant, par crainte de reproduire les mêmes comportements que sa mère. « J’avais si peur de ne pas savoir transmettre ce que je n’avais pas reçu », écrit-elle.
Aujourd’hui, elle brise le cycle intergénérationnel de la violence, un concept central de son livre. Dans le cas de Nancy, sa mère a reproduit la violence dont elle a aussi été victime dans son enfance. Il arrive même que certains parents, qui ont été pris en charge par la DPJ plus jeunes, se voient aujourd’hui retirer la garde de leurs enfants par ce même organisme. Quand de telles situations surviennent, cela signifie qu’à quelque part, « on a échoué », souligne la diplômée de l’Université d’Ottawa en journalisme. « On a échoué à leur offrir les outils dont ils avaient besoin pour éviter que le cycle ne se répète. »
Bâtir un filet social
Pour Nancy Audet, la DPJ doit revenir à son rôle initial de « pompier », soit de premier répondant dans une situation d’urgence. La seule manière de désengorger le système est de travailler en amont et de prendre toutes les précautions nécessaires pour éviter que le feu prenne. La journaliste donne l’exemple d’un enfant qui arrive à l’école depuis quelques jours sans aucune nourriture. On aura le réflexe d’appeler directement la DPJ. Or, la présence de services de première ligne permettrait d’aborder l’enjeu sous un autre angle : peut-être que le parent vit des difficultés financières à la maison, ce qui ne signifie pas automatiquement qu’il soit un mauvais parent. « L’objectif n’est jamais d’enlever un enfant à ses parents. L’objectif est d’offrir des outils pour qu’il devienne un parent plus adéquat. » Mais pour y arriver, il faut investir massivement dans les services de première ligne et tisser un filet social étanche pour accompagner, soutenir et diriger vers les ressources appropriées.
Tendre la main
Des personnes significatives, comme la dame qui l’a accueillie en famille d’accueil ou des amies qui ont croisé son chemin, ont fait toute la différence pour la petite Nancy. Aujourd’hui, elle déplore un désengagement social à l’égard des enfants négligés. On a tendance à se rapporter uniquement au gouvernement ou à la DPJ pour régler la situation. La journaliste a grand espoir qu’on revienne à une « responsabilité de village », qu’on tende la main davantage et que chacun conserve un regard bienveillant.
L’effort doit être à la fois individuel, mais aussi collectif et sociétal. On doit offrir la chance à l’enfant de développer une passion et d’être bien supporté. Pour Nancy, ça été le sport. Pour d’autres, ça pourrait très bien être le chant, la peinture ou la musique. Peu importe, ce genre d’implication favorise le développement d’un réseau solide, d’où la nécessité que les organisations offrent des places aux enfants de la DPJ.
C’est la même chose pour les écoles : « Il n’y a pas de raison que les écoles privées au Québec débordent d’argent et n’accueillent pas 10 ou 15 enfants dans leurs rangs chaque année. » Même principe pour les entreprises qui peuvent offrir des programmes d’emploi. « Tout le monde doit faire sa part », martèle Nancy Audet. « Il faut qu’on revienne à un engagement social envers ces enfants, c’est urgent. Ce sont nos enfants. Je ne peux pas croire qu’en tant que société, on puisse vivre la tête tranquille sachant qu’il y a 30 0000 enfants par année sous la protection de la jeunesse. »
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