Saint-Jérôme underground

Par nathalie-deraspe

Une poudrière prête à exploser

Avec près de 68 000 habitants, Saint-Jérôme connaît un essor fulgurant. Mais derrière cette croissance se cache de nombreuses problématiques. Les organismes appelés à gérer les urgences sont à bout de souffle. Et si cette pyramide de verre s’effondrait?

Les chiffres sont révélateurs. Selon l’Institut de la statistique du Québec, la population de Saint-Jérôme aurait bondi de 11% entre 2001 et 2011, alors que pour la même période, la démographie pour le reste de la province aurait haussé de 3%. 

Le jour, la capitale régionale des Laurentides fait bonne figure, avec son campus universitaire, son cégep et son musée. Les commerces et les autobus vont bon train. Les rues sont de plus en plus engorgées, mais malgré tout, une paix sociale semble être bien établie au centre-ville.

Le soir, le parc Labelle et les rues avoisinantes deviennent plus suspectes. Certains bars écoulent leur drogue au même titre que l’alcool, tandis que les salons de massage font des affaires en or. Les prostituées ne sont pas en reste. Sidatiques ou non, celles-ci n’ont pas de mal à se trouver des clients. 

La police fait quand même du bon boulot. Deux bars de danseuses ont dû mettre la clef sous la porte. Le Body Shop est devenu une clinique vétérinaire. La bâtisse du Séduction est à vendre. Le St-Pierre est quant à lui fermé temporairement, mais pourra retrouver sa clientèle au cours des prochaines semaines. Seul le Sexy Hollywood, situé dans le parc industriel, subsiste. Ce qui n’empêche pas le crime organisé et les réseaux de voleurs d’opérer dans la ville.

Un équilibre menacé

«On a des frustrations, indique Robin Pouliot, agent des communications et des relations communautaires à la police de Saint-Jérôme. On traite nos dossiers avec cœur, mais souvent, ça coûte plus cher de passer sur un stop que d’avoir un mineur dans son établissement. C’est une des raisons pourquoi j’ai lâché la patrouille.»

Avec près de 20 ans d’ancienneté, le policier en a vu d’autres. «Sans les organismes du coin, nos interventions seraient boiteuses», confesse-t-il. Mais les mandats de la police de Saint-Jérôme sont limités. «C’est toujours politique», admet Robin Pouliot à demi-mots. «Les élus ce qu’ils veulent, c’est qu’on arrête le petit monsieur qui n’a pas fait son arrêt. Le soir, ils s’en foutent. Ils dorment», confie un sergent sous le couvert de l’anonymat.

En janvier, on a trouvé un itinérant mort à quelques pas de la cathédrale. «C’est toujours la même chose, trois jours après c’est oublié», déplore le coordonnateur du Centre sida amitié, Gaston Leblanc. Il manque de ressources, d’effectifs, de lieux pour accueillir les personnes dans le besoin. Quelques millions de dollars devaient être dégagés du Cadre de référence sur l’itinérance, mais Saint-Jérôme ne se trouvait pas même sur la liste des villes qui pouvaient bénéficier de quelques subsides de la part du gouvernement. Pourtant, il faudrait au minimum une trentaine de lits supplémentaires, dont 10 à 15 pour les femmes et 4 intervenants à temps plein pour sortir du pétrin. Les ressources sur le terrain sont tellement débordées qu’elles n’arrivent pas à trouver un moment pour former un comité sur l’itinérance.

Feu roulant au drop-in

Les gens de la rue sont aux prises avec plusieurs problématiques. Toxicomanie, violence, santé mentale. Un cocktail explosif qui doit être géré avec la plus grande diplomatie. «J’ouvre la porte aux intervenants en psychothérapie, indique Gaston Leblanc. Je leur offre de venir voir leur clientèle vulnérable mais ça ne fait pas la queue.» 

Le premier du mois, tout va bien au drop-in. À partir du 26, tout le monde a les dents serrées. «Il suffit qu’une mouche passe pour que tout saute. Mais au moins, quand il y a 35 ou 40 personnes ici, elles ne sont pas ailleurs à faire travailler la police.»

Depuis les dernières années, l’organisme a répertorié une douzaine de morts sur le territoire. L’hiver dernier, trois itinérants dormaient sous l’amphithéâtre. De bons samaritains leur apportaient de quoi manger de temps à autre, mais sans plus. «La barre est tellement haute que je suis obligé de dire à mes intervenants de ne pas se fixer d’objectif. On en voit tous les jours qui améliorent leur sort, mais ce n’est pas assez pour nous réconforter. Y’en a que ça va mal dans leur vie depuis 25 ou 30 ans. C’est quoi le sirop magique pour guérir ça?»

D’ici peu, un motorisé devrait parcourir les Laurentides un peu à la manière du véhicule utilisé par le père Emmett Johns «Pops». Quelques infirmières ont signifié leur intérêt à participer à l’expérience. Mais pour Gaston Leblanc, très peu de gens osent se mettre les mains dans ce qu’il appelle le «container social» parce qu’ils ont peur de ce qu’ils vont y trouver. Pendant ce temps, une partie du réseau communautaire passe la majeure partie de son temps à éteindre des feux. «S’il y a un maillon qui se détache, on risque peut-être d’avoir de la difficulté dans les prochains mois», laisse tomber Robin Pouliot.

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