Autopsie d’une victoire citoyenne!

Par Éric-Olivier Dallard

Quand un hebdo contribue à changer la face du monde

Dans une finale digne de la série Canada/Russie des années 70, les maires et le préfet de la MRC des Pays-d’en-Haut ont finalement aboli la semaine dernière la résolution autorisant la création d’une traverse de rue au kilomètre 28,5 du Parc linéaire, à la hauteur de Saint-Adèle.

Quand David, un journal régional impliqué dans les enjeux de sa communauté, assomme d’un coup de fronde médiatique et citoyen un gouvernement-Goliath…

Le dossier traînait depuis des années, alors que les frères Valiquette, propriétaires de terrains qu’ils entendent développer et qui traversent le Parc linéaire, demandent à la ville de Sainte-Adèle, d’autoriser une traverse de rue, arguant notamment un enclavement de ces terrains… Le dossier s’étire et la demande, acceptée par le conseil municipal de Sainte-Adèle, aboutit finalement au Ministère des Transports du Québec (MTQ) qui autorise la traverse, moyennant un certain encadrement, à l’encontre des recommandations de la Corporation du Parc linéaire Le P’tit train du Nord.

Restait à la MRC des Pays-d’en-Haut à donner son aval au projet et au protocole d’entente soumis par le MTQ, une formalité puisque le préfet Charles Garnier avait déclaré à Accès en février dernier: «Nous ne voyons rien, dans le cas présent, qui puisse justifier le rejet de la demande des promoteurs».

Pourtant, le désastre appréhendé est bien réel: en témoignent le saccage des pistes par la multiplication des traverses plus au sud, et la désertion des skieurs de fond qui a suivi… La traverse du kilomètre 28,5 viendrait sectionner, au profit des promoteurs immobiliers, un dernier cinq kilomètres de piste épargné par cette gangrène. Après qu’Accès eut rendu public le dossier et ait pris fermement position contre la traverse, des centaines de témoignages avaient afflué, s’offusquant de la possibilité qu’une nouvelle traverse voit le jour.

Coup de théâtre

Lors de la réunion du Conseil des maires du 13 février, coup de théâtre: le maire de Wentworth-Nord et président de la Corporation, André Genest, dans un plaidoyer flamboyant, expose aux élus que rien ne prouve plus un enclavement des terrains que les frères Valiquette entendent développer et demande aux élus de signifier au MTQ leur désaccord officiel face à la création de cette nouvelle traverse de rue: «Nous avons là, avec les pistes du Parc linéaire, un véritable bijou; il reste 5 kilomètres de pistes non sectionné… Les investissements réalisés jusqu’ici dans la préservation et la qualité de ce que nous avons-là doivent être préservés!»

Le préfet Charles Garnier a suggéré de transformer la demande présentée au Conseil par M. Genest en résolution abolissant purement et simplement le feu vert que la MRC entendait donner jusque là au projet. C’est donc sur celle-ci que le débat s’est fait, et il a été serré… à tel point que M. Garnier a dû utiliser son vote prépondérant afin de trancher définitivement la question, une première en 10 ans: «Je me range à la majorité des maires et j’entérine la résolution présentée!»
À moins d’un nouveau revirement de situation, le projet de la traverse de rue du kilomètre 28,5 à Sainte-Adèle est donc enterré.

Rappelons qu’un moratoire sur les traverses de rue (dont était cependant exclue celle du 28,5) a été adopté par la MRC, en l’attente du dépôt par la Corporation du Parc linéaire d’une étude sur les impacts des traverses, dont une première partie devrait être déposée au mois de mai.

On ne le dira jamais assez: il est rare qu’un journal choisisse s’engager dans un combat, puisque l’un de ses premiers devoirs est de faire preuve d’objectivité dans la livraison des informations. Il est des moments cependant dans l’Histoire d’une région ou d’un pays où l’importance des enjeux commande un engagement des médias. Dès le début du dossier du kilomètre 28,5, Accès a choisi d’en faire un combat, puisque la préservation d’un joyau de notre région, d’un pan important de notre identité, était en jeu…

Voici des extraits des éditoriaux de l’éditrice d’Accès, Josée Pilotte:

28 octobre 2009, La mort du ski sur le Parc linéaire?:
«Les traverses, ces traverses qui massacrent notre identité… C’est quoi cette maudite manie de toujours tout banaliser, de tout détruire. J’ai de la difficulté à comprendre que nos politiciens ne voient pas l’urgence d’arrêter cette hémorragie. J’ai de la difficulté à comprendre que nos politiciens ne voient pas l’urgence capitale de développer des stratégies de protection des attraits naturels et culturels de notre Parc. Vous ne trouvez pas ça troublant cette communion d’élus qui se cachent derrière des résolutions pour nous faire avaler la destruction de notre joyau? Je veux dire par là, vous ne trouvez pas ça troublant qu’ils morcèlent à petit feu, leur propre réalisation? Moi oui…»

2 décembre 2009, Les dés étaient pipés:
« À quoi joue-t-on? Tous les «experts» dans le dossier des traverses semblent devenus soudainement «experts» au ping-pong. Moi j’avoue que ce sport m’exaspère un tantinet. Or ce n’est pas faute d’avoir essayé de comprendre et ce n’est pas faute non plus d’avoir questionné tous les intervenants dans le dossier, mais pour l’instant ils n’ont guère trouvé mieux que de se renvoyer la balle entre eux, un jeu du chat et de la souris indigne des vrais décideurs de ce monde. (…) C’est à coup de p’tites décisions comme celle-là, qui autorisent la traverse au km 28,5, à coup de p’tites décisions difficiles à comprendre par moments, que l’on finit par accepter la mort du ski sur le P’tit train du Nord…»

La position éditoriale d’Accès

10 février 2010,

J’aurais voulu être ministre:
«C’est terriblement choquant de penser que si une demande de moratoire avait été présentée il y a de ça quelques années, tout le saccage du sud aurait pu être évité. Savez-vous aujourd’hui combien de milliers de dollars cela va coûter pour tenter de «patcher» ce même massacre? Ça va prendre des maudits gros «plasters» pour arrêter une si grosse hémorragie! (…) Les Laurentides c’est comme une Belle d’Ivory. Pas de besoin de maquillage; simplement un peu plus de pureté, un peu plus mise en valeur. Du respect, quoi! (…) J’aurais voulu être une artiste… pour pouvoir faire mon numéro… pour faire l’inventaire de ma vie. Me retourner et voir ce que je lègue. De quoi l’Histoire se souviendra-t-elle? Est-ce que ce sera d’avoir accepté la demande de deux promoteurs après deux longues années d’attente? De ces 12 unités résidentielles que j’aurais autorisées? De la traverse de rue, pour laquelle j’aurais «donné des balises»?!

L’Histoire ne se souviendra-t-elle pas plutôt de l’acte courageux que j’aurais pu poser en me tenant debout, et en m’objectant fermement au charcutage de notre Identité?»

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