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Caller l'orignal

Par Journal Accès

Bruno Taquois collaboration spéciale

J’étais devant ma télé dimanche dernier, pas devant Guy A., mais devant une émission d’ethnologie, ‘scusez pardon!

Je veux parler de Loisir, Chasse et Pêche sur TV Mag.

Arrêtez de rire, je vous assure que vu par un Français, même depuis plusieurs années au Québec, LCP est souvent un pur condensé d’ethnologie.

Minute, je m’explique.

Scène 1 :

Martin Bourget dans le bois, en tenue de camouflage « 3D spéciale tourbière » de pied en cap qui caaaaalle, dans son cornet, des « rronnnn », des « ahonnnnnn » d’une main, et de l’autre qui frotte des palettes en bois de la forme d’un panache d’orignal en avançant silencieusement sur une piste.

C’est sûr et certain qu’un Français s’étouffe de rire, pis pas à peu près. Le rire est le premier réflexe : voyons, c’est quoi ce mec qui fait tant d’efforts pour se camoufler et qui porte un gilet orange? C’est im-po-ssi-ble d’imiter un orignal pour l’attirer.

Bref, un Français lambda pensera que ce mec a une case en moins, qu’il a été démoulé trop chaud!

Scène 2

Un buck de 500 livres sort du bois et approche, incontestablement appelé par ces cris qui l’attirent.

Merde, ça marche… Le con…. Oh putain!

C’est certain qu’il pensera ça, mon Français, et que ça lui fera ravaler son rire pour piquer sa curiosité de voir la suite.

Scène 3

À 200 pieds, le frérot de Martin tire et on voit clairement la balle pénétrer son flanc. Le buck bondit, mais déjà sa deuxième foulée est moins assurée, la troisième est flageolante avant qu’il ne s’écroule dans les herbes hautes.

Le corps a disparu, seule une furie de sabots bat l’air à mesure que la vie s’échappe… Ça me rappelle la scène de la jolie blonde aux yeux maquillés de noir dans Blade Runner. Le silence de l’agonie est brisé par les cris de joie des deux frangins qui célèbrent ce coup dans l’mille.

Crois-moi, mon Français, il la ferme sa gueule; il comprend rien, juste son malaise qui lui bouffe le cerveau.

Scène 4

La gang de chums arrive. On installe des perches et on découpe l’animal drette sec. C’est une job de malade! Faut être fait fort en cœur et en corps et faut faire vite, car il fait 30 degrés et la bedaine gonfle déjà. Puis après, il faut sortir l’animal du bois, encore des heures à s’acharner et à suer.

C’est long, c’est dur, et là, mon Français, il comprend que ce ne sont pas des « viandards » comme il appelle ces chasseurs de France, faciles sur la gâchette, sauf sur celle du cerveau.

Là, il commence à comprendre que ce n’est pas la chasse qu’il connaît, il commence à placer la douleur à la bonne place, à placer l’histoire à la bonne place aussi, celle des Blancs et des Rouges et l’histoire quotidienne de la survie.

Scène 5

Tous les chums sont au chalet et célèbrent.

C’est un père qui tombe dans les bras de ses fils, c’était son premier buck à vie au frérot.

C’est une culture qui semble se passer d’une génération à l’autre.

Mon Français très ému… sourit.

Il entrevoit les réponses à son amour pour le pays et pour les gens d’ici.

Et il rit de ses émotions, de ses erreurs aussi, jurant qu’il ne les ferait plus.

Et que personne ne devrait se moquer trop vite, juger trop vite.

À l’avenir, je vais me garder une petite gêne avant de rire d’un gilet orange.

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