Jour de l’An d’antan

Par Rédaction

Mathias et Berthe, ses grands-parents paternels, demeuraient dans le bas du fleuve dans un petit village qui aurait pu s’appeler St-Creux des Meux Meux. Pour s’y rendre, ses parents, son frère Dédé et elle devaient prendre le train pour débarquer sur le quai d’une petite gare nichée entre deux collines.

« Mon oncle Fernand nous attendait avec Gudule sa jument fringante attelée à la carriole rouge empêtrée de fourrures qui nous enveloppaient des pieds à la tête. Ce jour-là, le thermomètre s’entêtait à demeurer bien en-dessous de zéro. La ferme était située à un peu moins de dix kilomètres. La demeure construite en pierres des champs était désormais scindée en deux : une partie pour les aïeux, dans ce temps-là ma p’tite fille on gardait les vieux avec soi, et l’autre pour la famille d’oncle Fernand, de tante Georgette et de leurs six enfants. Tous des garçons. Nous arrivâmes en même temps que nos cousines de Montréal et leurs parents Rachel et Roger. Ce qui totalisait une bonne vingtaine d’invités, sans compter les voisins, les Tousignant et les Bélisle. Mais dans le temps, souligne la bonne Marie, ce n’était pas un problème. »

« Il était autour de midi lorsque le vent se leva et prit toute la place sur l’immense terre qui longeait le fleuve. Personne ne songeait à quitter les lieux, les fourneaux ronronnaient, l’âtre crépitait et les estomacs criaient famine. Berthe avait déposé sur la grande table de la salle à manger du rôti de porc, du poulet et des tourtières. Pain de ménage, cretons et graisse de rôti trônaient également dans la belle vaisselle d’occasion. Après le dîner, les enfants se sont engouffrés à l’extérieur pour aller glisser sur la côte à Turcotte, pendant que les adultes sortaient les jeux de cartes et le ti-blanc bien sec. »

« Le soir venu, on a remis la table comme si nous n’avions pas mangé depuis deux jours. Cette fois, place à la cipâte, à la dinde farcie et au ragoût de boulettes. C’était sans compter le vin de cerises, les galantines et la dizaine de desserts. Après le repas, on a poussé la table au fond de la cuisine pour chanter, danser des sets carrés et se raconter des histoires grivoises. Dehors la neige neigeait, la tempête tempêtait, le vent se vantait jusque dans l’fond d’la boîte à bois! »

Là, Marie s’est tue comme pour mieux vivre ce merveilleux souvenir d’un jour de l’An vécu dans le tumulte d’une poudrerie et d’un Nordet implacables.

« Ce qui me manque le plus, reprit-elle, et ne te moque surtout pas de moi, c’est la bénédiction paternelle… Et toi Mimi ? À quoi ressemble ton Jour de l’An ? »

Je lui ai alors parlé de notre rencontre « potluck », des végétariens loin de la dinde et du ragoût, de deux nièces dans la famille qui avaient pour conjoints des personnes de religion différente, des enfants qui traînaient leur EpiPen et de… Chut! Marie s’est endormie, le sourire aux lèvres.

Et là, j’ai posé un geste pour la première fois de ma vie et probablement la dernière.

Je l’ai bénie.

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