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La Croix menace-t-elle la démocratie?

Par Simon Cordeau

Sainte-Adèle a eu six maires et mairesses différents depuis que la bataille juridique entre le Groupe Lupien et la Ville a commencé, il y a maintenant 15 ans. « Le dossier de la Croix amène un gros nuage noir sur la démocratie à Sainte-Adèle », affirme Nadine Brière, la sixième mairesse à tenter de régler le dossier… et à échouer.

Mme Brière ne briguera pas un second mandat à la mairie de Sainte-Adèle. Au moins trois des cinq conseillers municipaux, soit Roch Bédard, Robert Bélisle et Frédérike Cavezzali, quitteront aussi leur poste. Le dossier de la Croix y est pour beaucoup, précise Mme Brière, et rebute bon nombre de candidats à se lancer dans l’arène politique adéloise.

« Ce sont des élus qui ont été très échaudés, ces dernières années. Moi, avant de prendre la décision de me relancer ou non, j’ai approché des gens en qui j’avais confiance, avec qui je souhaitais travailler et qui auraient fait de très bons candidats, par leurs valeurs, leurs idées et leur vision. Malheureusement, la majorité ont refusé en raison du dossier de la Croix », confie la mairesse sortante.

Benoit Huard confiant

Benoit Huard, chef du Parti Action Sainte-Adèle, est le seul qui a déclaré son intention de briguer la mairie de Sainte-Adèle aux élections municipales. Si le 1er octobre il est le seul candidat, il sera élu par acclamation et entrera en fonctions immédiatement.

Questionné au téléphone, M. Huard ne semblait nullement intimidé par le dossier de la Croix. « Ce n’est pas un enjeu différent de tous les autres enjeux. Nous avons confiance en nos moyens et nous avons une équipe de gens compétents. Je suis très confiant qu’on fera face à tous les enjeux, celui-ci comme tous les autres. »

S’il est élu à la mairie sans opposition, M. Huard admet que ce serait malheureux d’un point de vue démocratique, mais souligne que ce serait loin d’être un cas unique. En 2017, près de la moitié des maires au Québec ont été élus par acclamation.

Une affaire personnelle

Depuis les 15 années que dure ce dossier complexe, il y a eu de multiples poursuites, des contre-poursuites et des décisions portées en appel, au point où il peut être difficile de s’y retrouver. Dans une décision en 2016, le juge Jean-Yves Lalonde écrivait : « Nous sommes tout au plus en présence d’un antagonisme inflationnaire, nourri par l’acrimonie et la haine que se vouent les deux parties. » Dans ce bourbier légal, ce qui fait peut-être le plus de dommages à la démocratie adéloise, c’est cette poursuite intentée par le Groupe Lupien contre 21 membres présents et passés de l’administration municipale et du conseil municipal, pour 13 millions de dollars.

Certaines personnes poursuivies sont même décédées depuis! L’ex-conseiller municipal Gary Kenneville a été assassiné en 2012. Jean-Paul Cardinal, maire de 2001 à 2007, est décédé en 2015 des suites d’un cancer. Pourtant, leur succession est toujours en litige, en raison de la poursuite.

« Aujourd’hui, pour des gens qui voudraient se présenter, ils ont en tête que c’est possible que ce soit leur succession qui devra régler le dossier. Ça peut peser lourd dans une décision. La décision n’appartient plus seulement à eux », déplore Mme Brière.

C’est d’ailleurs ce qui a fait reculer un entrepreneur adélois qui considérait se lancer dans la course à la mairie. Celui-ci a préféré garder l’anonymat. « Nadine m’a approché. Elle a planté une graine dans mon cerveau. Je me disais que je pouvais être un bon acteur de changement, de positivisme. »

En considérant sa candidature, l’entrepreneur a voulu mieux comprendre les dossiers municipaux. Les difficultés du dossier de la Croix l’ont laissé pantois.

« Je ne le comprends pas. Ce n’est pas supposé exister. […] La ville est tenue en otage. On se prive de beaucoup de personnes. La politique municipale est déjà assez dure comme ça, pas besoin de poursuites personnelles et de voir son patrimoine personnel menacé. »

Marc Lupien, quant à lui, insiste qu’il est pleinement justifié de défendre ses droits. « Ce n’est pas compliqué : si j’ai un dommage, je poursuis. C’est une règle de base en Droit. En dedans de 15 ans, on calcule qu’il y a 21 personnes qui ont commis des fautes lourdes et intentionnelles, ce qui permet de les poursuivre personnellement. […] Je n’ai pas à subir des problèmes successoraux pour des gens qui m’ont fait des dommages. »

Protection légale?

Les élus municipaux bénéficient d’une certaine protection légale. S’ils sont poursuivis à titre personnel pour des actions posées dans le cadre de leurs fonctions, la municipalité qu’ils représentent doit les défendre.

« Même si la Ville nous défend dans cette histoire-là, il reste que ce sont des poursuites personnelles », précise Mme Brière. Elle compte avoir reçu la visite de huissiers à 22 reprises pendant ses 4 années en fonction. « C’est toujours le vendredi soir, à l’heure du souper. Souvent, ce sont les enfants qui vont répondre », raconte-elle, qualifiant la situation d’intimidation.

Résolution possible?

Avant de devenir mairesse, Mme Brière était conseillère municipale. Croyait-elle pouvoir réussir là où ses prédécesseurs avaient échoué? « On souhaitait réellement régler le dossier. J’ai sous-estimé la bonne foi de M. Lupien à vouloir régler. M. Lupien ne veut rien régler. Il veut seulement gagner. Mais on est trois grands perdants là-dedans : la Ville de Sainte-Adèle, ses citoyens et M. Lupien », déclare la mairesse sortante.

Une résolution est-elle possible, après toutes ces années? Marc Lupien espère aussi une résolution rapide du dossier. « Mon objectif, c’est de vendre et de m’en aller ailleurs. Mais la maison est devenue invendable! Ils [la Ville] bloquent constamment les titres de propriété par de nouvelles procédures. Il n’y a aucun courtier immobilier qui va prendre notre dossier », déplore-t-il. M. Lupien ne réside même plus à Sainte-Adèle, par craintes pour sa sécurité. « Je reçois des lettres de menace de mort par la poste, que je fais suivre à la SQ. »

Pour qu’une résolution soit possible, toutefois, il croit qu’un changement de garde complet, tant au conseil de ville qu’à l’administration municipale, est nécessaire. « Si on continue avec les mêmes personnes, ça ne changera rien. »

La Croix

Au cœur de toute cette affaire, il y a toujours la Croix, érigée au Sommet bleu en 1927, et pour laquelle les Adélois et les Adéloises ont un réel attachement.

« Quand je suis arrivée en poste comme conseillère, en 2009, ça faisait déjà plus de 12 mois que la Croix était éteinte. Durant les élections, je faisais du porte-à-porte et les citoyens me disaient que la Croix était emblématique de Sainte-Adèle et une fierté pour eux. Ils demandaient aux élus de pouvoir la rallumer, ce qu’on a fait avec le maire Réjean Charbonneau. […] Cette croix-là ne pourrait pas être déplacée. »

En finissant, on sent la mairesse un peu amère de son expérience, comme d’autres de ses prédécesseurs. « Je souhaite réellement que le dossier soit réglé au niveau juridique, pour que les citoyens puissent profiter pleinement de la quiétude de Sainte-Adèle. »

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3 Comments

  1. Lise Boivin

    Lorsqu’on veut régler à l’amiable ou par une Conférence de règlement, on ne se présente pas à la table de discussion avec ses avocats, les mêmes qui sont déjà engagés dans la bataille juridique. Cela ne fait que poursuivre ou reprendre les mêmes débats que dans le cadre des procès.
    Un tel agissement de la part de la Ville ne donne pas l’impression de vouloir régler mais plutôt de vouloir en faire une guerre d’avocats.

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  2. Martin Verronneau

    Ais-je bien lu la mairesse Brière se dépeindre en victime? En 2009, alors conseillère du District 1, elle et son équipe du Parti vision citoyens ont remercié la firme d’avocat responsable d‘une entente de principe entre M. Lupien et le maire sortant Claude Descôteaux, pour réembaucher Me Francis Gervais. On connait la suite… Inutile de rappeler que la population n’a JAMAIS voté pour ça! C’est la même Nadine Brière qui a voté contre la proposition faite par M. Lupien et acceptée par le maire (minoritaire) Robert Milot fin mai 2016. 

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  3. Guy J.J.P. Lafond

    Bonne campagne électorale à tous les candidat(e)s qui désirent devenir maire ou conseiller(e) municipal(e) dans les Laurentides!

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