Signé: un journaliste minable

Par Éric-Olivier Dallard

«Monsieur Dallard, vous êtes un journaliste minable.»
«Votre propos est simpliste et immature.»
«C’est méchant d’attaquer ainsi, Monsieur. On ne vous a donc pas appris les bonnes manières?»
«Monsieur Dallard, vous avez écrit un éditorial misérable.»

C’était au mois de février, cette année.

J’avais écrit un texte sur la disparition de David Fortin, rappelez-vous: ce jeune, intimidé et humilié à l’école durant des années, et qui aurait décidé de fuir, à la fois l’école et sa maison. L’histoire avait fait le tour du Québec.

J’avais écrit un texte, donc, où j’accusais les parents du jeune disparu d’être «coupables»:
«Vous savez qui sont d’abord à condamner dans cette histoire? Le nom des premiers coupables ne vous a même pas effleuré l’esprit, hein?! Je vais vous le dire: ce sont les parents de David… Oui, oui, ceux-là même qui déchirent leur chemise sur la place publique, critiquant l’inertie du système et la nonchalance de ses intervenants. Les premiers coupables, ce sont eux.

Bordel! Suis-je le seul à penser que le premier endroit qui doit sécuriser un enfant est sa maison; la première qui doit le défendre est sa famille. Quand ce premier rempart renvoie à l’abattoir (car c’est bien ce dont il s’agit), jour après jour, année après année, celui qu’il est chargé de protéger, qu’y a-t-il d’étonnant à ce qu’il vogue vers d’autres cieux?

C’est d’une misère sociale, intellectuelle et affective sans fin, dont souffrent ces parents, qui s’en sont remis au système pour défendre ce qui doit leur être de plus cher, leur chair. (…)

Il est des rôles sacrés: celui de parent – et la protection qui va avec – est l’un d’eux. Avoir failli dans ce rôle, et n’en être pas même conscient.

On martyrise ton fils quelque part? Tu vas le chercher.

Ton enfant n’est pas heureux à l’école? Tu le retires de l’école, c’est tout.

C’est difficile à comprendre, ça?»
(Chronique triste et sans pitié, 27 février 2009, toujours disponible sur www.www.journalacces.ca)

Ce sont donc ces mots-ci, indignés, qui m’ont valu ces mots-là, tout aussi indignés mais de mon propos, de la part de lecteurs: journaliste minable, misérable, simpliste… J’ai publié d’ailleurs l’ensemble de ces lettres dans les éditions suivantes du journal.

Même la mère de David Fortin m’a appelé pour me dire qu’elle avait fait tout ce qu’elle pouvait pour aider son fils, et que lui reprocher quelque chose est carrément immoral. Je lui ai parlé, je l’ai écoutée, compatissant à sa douleur… mais tout en me disant que cette douleur, aussi grande soit-elle, n’efface pas tout.

Et puis… Et puis, ces dernières semaines… La mère de David, désireuse de relancer le dossier sur la disparition de son fils, a fait parvenir une lettre ouverte à son fils, que les médias ont publié. Et que dit Mme Fortin à son fils? «Cher David, Ton départ nous a tous fait réfléchir et fait comprendre qu’il fallait changer notre façon de voir la vie. (…) Tu sais David, ce que je regrette le plus, c’est te t’avoir remis à l’école, j’aurais dû comprendre ta détresse, je te demande pardon. L’école est terminée David, tu n’iras plus et personne ne m’empêchera de te garder avec moi. Je saurai te défendre et te protéger. Personne ne me fera changer d’idée.»

Et bien dis donc!… comme on passe facilement d’un journalisme misérable à un journalisme inspirant… Madame Fortin, vous aviez pris le temps de m’appeler pour m’insulter à l’époque. Aujourd’hui vous reprenez l’essence même de ces mots qui vous avaient indignée alors: je comprends parfaitement que ayez autre chose à faire aujourd’hui… mais j’aurais quand même apprécié un appel aussi cette fois-ci, Madame.

C’est la rentrée… Parents, ayez donc une pensée pour David Fortin. Que sa disparition serve au moins à vous encourager à garder les yeux et le cœur ouvert pour ce que vivent vos enfants.

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