Développement dans les Laurentides
Par Thomas Gallenne
La grande invasion
Du 30 mars au 1er avril prochain, le documentaire de Martin Frigon, la grande invasion, sortira en salle à Montréal. Mais déjà, il fait grand bruit et pour cause. Le réalisateur dépeint un paysage qui s’enlaidit, des communautés qui dépérissent et une spéculation foncière qui chasse les plus fragiles de notre société.
Martin Frigon part d’un constat simple mais saisissant: comment en est-on arrivé là? À cette destruction du patrimoine architectural, à ce développement résidentiel et commercial à tout crin, venant tapisser mur-à-mur notre territoire et asphyxier nos communautés?
«Autrefois, nos grands parents avaient le sens d’une certaine beauté architecturale. Que s’est-il passé depuis? s’interroge le réalisateur. L’artiste valdavidois René Derouin renchérit: «On est passé de la calèche au »tout-à-l’auto ». On est tombé en plein éclatement de la mondialisation, avec la destruction du patrimoine, de la culture et de l’identité. La réalité quotidienne? Selon eux, le pouvoir économique, les capitaux mondiaux mènent le bal. Et l’économie locale est en train de tomber en ruine.
Société toxique
Leur constat est pessimiste, mais se veut un électrochoc pour que le Québec se réveille. «Le développement ne se fait plus autour de l’identité des territoires et des communautés, insistent Frigon et Derouin. Il se fait uniquement dans un but de profit, au détriment du bien commun.»
On apprend dans le documentaire que la superficie des grandes surfaces commerciales équivaut en Amérique du Nord à la superficie de la Belgique!
«Pendant le tournage, nous étions dans un »power center », à Boisbriand, dans un espace privé, où la police privée aurait pu nous déloger à tout moment, poursuivent les deux hommes. Ces grands centres d’achats se retrouvent en dehors des cadres de la démocratie. Comment sommes-nous arrivés à une société aussi toxique?» Selon eux, ce type de développement remet en cause les fondements mêmes de la démocratie.
«Pour parcourir ces surfaces, on le fait en auto. On ne se côtoie plus, c’est l’anéantissement de la communauté», croit Martin Frigon. Des mots forts et lourds de sens.
Quelles solutions?
Étalement urbain le long des grands axes routiers, spéculation foncière, les acteurs de ce documentaires dénoncent un «mal-développement» érigé en système. Et comme dit René Derouin, «la difficulté du capitalisme, est de nous avoir rendu actionnaire». Serions-nous les artisans de notre propre malheur? Poser la question c’est un peu y répondre.
Mais y a-t-il des solutions?
«L’engagement, c’est ce qui manque dans notre société, clame Derouin. On est les artisans de notre propre dépossession.» Martin Frigon croit pour sa part qu’il existe des solutions: «Dans le documentaire, François Doyon avance le fait qu’il faut se débarrasser des »zones recherchées ». Ainsi, on enlèverait une pression foncière d’une minorité de propriétés de grande valeur, sur le reste du parc foncier des municipalités. Il y a aussi l’exemple de la Nouvelle-Écosse qui a adopté un plafonnement de la taxe foncière, laquelle suit l’indice des prix à la consommation (IPC). Enfin, il y a la solution avancée par l’urbaniste Pierre-Yves Guay, lequel préconise le remplacement de la taxe foncière par un impôt sur le revenu. «C’est le seul impôt progressif qu’on connaisse, ajoute Martin Frigon. Ainsi, le gouvernement redistribuerait l’argent aux municipalités. Ça mettrait fin à la compétition entres elles, à savoir qui va avoir le plus de développement résidentiel ou commercial sur son territoire, et permettrait ainsi d’avoir une réelle vision régionale.»
Sur le même sujet, lire la chronique de Patrice G. Llavador en p.24.