– Dossier ACCÈS Jeunes et Politique – Le Québec au point de basculement
Par Thomas Gallenne
République, un abécédaire populaire, d’Hugo Latulippe
Le documentariste et cinéaste Hugo Latulippe vient de sortir son dernier opus intitulé République, un abécédaire populaire. En une heure trente, une cinquantaine de leaders d’opinions, sociologues, économistes, artistes, syndicalistes, alouette… se relaient pour «re-définir» ce que pourrait être le Québec moderne, en questionnant notre rapport économique, social et environnemental au Monde.
Hugo Latulippe est parti d’un constat très personnel qu’il y avait une certaine pauvreté d’idées, de langage et de vocabulaire dans l’espace de la politique active. «Il y a énormément d’énergie intelligente, d’idées modernes et post-modernes qui circulent dans la société, et qui ne réussissent pas à émerger jusqu’aux grands médias et à la politique active, croit le réalisateur basé depuis un an en Suisse. Et j’ai l’impression qu’on vit ce contexte-là depuis une quinzaine d’années.» Selon lui, le soulèvement Zapatiste est un point tournant du mouvement altermondialiste, et du grand brassage d’idées planétaire pour dépasser le capitalisme. «Sur la place publique au Québec, il y a énormément de gens qui portent ces nouveaux discours, ces nouveaux paradigmes, ces nouvelles idées pour reformuler notre projet de société mais on ne les entend pas, poursuit le réalisateur. C’est un peu ça la subversion que le cinéma documentaire permet, c’est de dire: voici en une heure et demie le pays qu’on pourrait être.»
Loin de suivre une démarche scientifique, approfondie d’un point de vue de la théorie politique – Hugo Latulippe se considère libre dans sa forme – le réalisateur invite à la réflexion. «Selon moi, c’est un brassage d’idées sain et nécessaire, dont on a tant besoin dans notre espace public, croit le cinéaste. Et j’ai réalisé ce film spontanément, sans savoir s’il serait distribué.» Pourtant depuis sa sortie, sa maison de production Esperamos répond à peine à la demande. Va-t-on voir son documentaire à la télévision? «L’aspect subversif de mon travail est de mettre en circulation des idées qui sont »chaudes », explique le documentariste. Et bien que le contenu de ma démarche touche à l’intérêt général, il va à contre-courant des idées des personnes qui nous dirigent. Cela prend du courage de la part des télédiffuseurs pour présenter ce genre de film.»
Des idées qui méritent d’être connues
Le sociologue Gilles Gagné de l’Université de Laval est parmi les intervenants qui ont le plus marqué le réalisateur. «C’est une des grandes découvertes de ce film, reconnaît Hugo Latulippe. Un grand penseur, mal connu ici car son discours est peut-être trop complexe pour fitter dans le créneau des mass médias, mais on ne peut pas se passer de sa pensée. Serge
Bouchard, résumant l’Histoire de l’Humanité et mettant en perspective les troubles qu’on traverse, ou encore Christian Vanasse avec sa manière de dédramatiser par le rire, ce qu’on est devenu, contribue à la réflexion sur notre société, parfois avec humour, car on a besoin d’émotions.»
Certains accusent le cinéaste de présenter des idées défendant principalement des valeurs de gauche. «Durant la phase préparatoire du documentaire, on a passé en entrevue les gens les plus à droite de la société québecoise, qui prennent la parole sur la place publique, précise M. Latulippe. En cours de recherche, après quelques entrevues, j’ai changé d’idée. Je ne suis pas un journaliste, je ne prétends pas à l’objectivité, donc j’ai invité des gens qui m’intéressent, avec qui j’ai envie de discuter et qui ont envie de construire. Ceux qui s’obstinent à reproduire des modèles anciens du capitalisme traditionnel ou du néolibéralisme m’intéressent moins.»
La Grande Bascule
Son documentaire présente une réflexion sur la société québécoise, sur un pays à construire, sur un changement de paradigme jugé nécessaire par les intervenants. Et ce discours trouve écho à travers la planète. Après le Printemps arabe, va-t-on assister à un Printemps québécois? Hugo
Latulippe rappelle que la Révolution tranquille a été somme toute rapide. «Comme le dit Francine Pelletier dans le film, on est passé d’une société qui faisait le plus d’enfants, inféodée au pouvoir religieux, où une minorité étudiait, à une société laïque dont le taux de natalité est parmi les plus bas et celui de diplomation parmi les plus hauts de l’Occident», poursuit le réalisateur. Faisant le parallèle avec l’arrivée du Parti Québécois au pouvoir, le 15 novembre 1976, et qui a transformé le Québec très rapidement, M. Latulippe croit qu’on approche d’un nouveau basculement. Selon lui, on assiste depuis une quinzaine d’années à la descente du PQ, qui devrait atteindre le fond du baril. «Je pense qu’on assiste à une faillite philosophique pour ce projet de société, ou ce parti politique, avance le réalisateur. L’élection du NPD au printemps dernier est un peu bizarre, pas nécessairement préméditée ou réfléchie, mais symptomatique d’un basculement qui est possible.»
Et la relève en politique? Hugo Latulippe note l’émergence de jeunes dans la vingtaine et la trentaine en politique active. «S’il y avait un scrutin à la proportionnelle, on se retrouverait à l’Assemblée nationale avec énormément de jeunes, croit le réalisateur. Je pense qu’il y a des idées qui fédèrent la nouvelle génération telles que les questions environnementales. Il faut que cela devienne une priorité dans notre projet de société. Personne n’avait prévu la montée du NPD au Québec, ou encore l’arrivée au pouvoir du PQ en 1976. Il ne faut pas être fin limier pour remarquer qu’une certaine forme de politique plafonne, périclite. Il y a toutes sortes de symptômes qui annoncent qu’on est sur le «tipping point», ou point de basculement.»
Encore en salle au Cinéma Cartier de
Québec du 11 au 17 novembre à 19h05
http://esperamos.ca/2010/10/re-publik/