Exit le Canadian Tire, bonjour, IGA!
Par Journal Accès
Accès présente depuis octobre dernier, une chronique de Patrice G.
Llavador. Né en Algérie dans les années 1950, il complète des études en architecture en France, puis en aménagement à l’Université de Montréal. Il débute sa carrière en urbanisme et développe son expérience internationale (Afrique, Amérique, Caraïbes, Europe) dans le logement, le scolaire, les resorts et l’hôtellerie. Il vit au Québec depuis une trentaine d’années.
Fatigants! Vont-ils nous obliger à ressortir les mêmes arguments que pour le Canadian Tire? Ou bien sont-ce des adeptes du comique de répétition? Bon, je connais une manière de régler la chose une fois pour toute. Radicale. Tu prends ton plan d’urbanisme et tu anéantis toute possibilité de construire ce type de commerce. Tu t’assures que ton équipe d’urbanistes sait ce que c’est qu’un village, sinon tu leur apprends, ou bien on va le faire. Tu vérifies qu’ils savent faire la différence entre une banlieue et une villégiature peuplée de citoyens paisibles. Tu fais en sorte que l’espace de notre cité ne soit pas le terrain de chasse de personnes qui n’ont rien à faire de nous, mais de notre unique qualité de chaland, de consommateur. Que ce ne soient pas eux qui décident de notre cadre de vie. Que les citoyens sont prodigieusement tannés d’avoir encore à se battre alors qu’on veut leur coller un marché flamboyant et éléphantesque. Tannés de constater que la banalisation de cette question va finalement laisser le champ libre au développeur le plus persévérant. Écoute, écoute bien la rue. As-tu entendu quelqu’un s’écrier un beau matin: «Tiens, maintenant qu’on a le pachyderme Loblaws, un stationnement tout mal foutu avec un Métro au fond, un ancêtre Chartier, un indispensable Bourassa, pourquoi ne pas se payer un IGA!?!» Ceci est un village, si ça n’était pas un village, on le saurait, et on ne serait pas venus s’installer ici. Est-ce trop demander qu’on respecte cette échelle, cette petitesse? On s’est pris un boulevard avec quatre voies, des feux rouges, des stations services qui ressemblent à des truck stop d’autoroutes yankees, des banques sur-dimensionnées verrouillant l’entrée. Tiens, je propose qu’on nous oublie, qu’on oublie le 450 et qu’on nous passe en 819, qu’on se tourne vers Val-David ou Val-Morin!
Voilà pour le coup de sang.
En prenant un peu de champ, franchement, quel va être le bout du bout avec une grande surface alimentaire de plus? Du point de vue architectural, une masse laide juste parce qu’elle sera hors d’échelle et mal placée. Et une machine à siphonner ce qui reste d’activité dans le centre du village. Les gros vont se disputer à coup de marges, qu’ils ont grasses. Les autres seront trop fragilisés pour tenir. Mais le plus pénible à voir sera l’aggravation de la mutation du village. Baisser l’activité dans le centre, c’est inexorablement amoindrir le peu de convivialité qui nous reste. C’est «désertifier» le centre, état catastrophique actuel de la plupart des villes nord-américaines, où tout l’achalandage a été aspiré en périphérie. C’est rendre le village de plus en plus artificiel, mono-fonctionnel, avec seulement des restaurants alignés, et une pauvre «Caisse Pop» qui s’accroche à l’église. Jusqu’à l’hôtel de ville qui s’est déporté, comme pour indiquer la marche à suivre. Mais c’est bien là que se trouve la solution. N’est-il pas temps, à l’abri de toute pression extérieure, de se remettre sur le plan d’urbanisme, et de retravailler sur les implantations possibles? Pourquoi, dans les zones résidentielles est-on si coercitif, qu’un propriétaire de maison unifamiliale ne puisse avoir la possibilité d’exercer une activité commerciale? Pourquoi doit-on endurer les pires tracas pour ouvrir un commerce de coiffure au rez-de-chaussée d’une maison, si de l’autre côté du même village on autorise des milliers de mètres carrés d’un grand distributeur? Cette règlementation à deux vitesses doit se travailler, en prenant une base saine.
Définissons au préalable ce qu’est véritablement Saint-Sauveur, et ce que l’on souhaite pour l’avenir. Le travail d’un planificateur consciencieux le porte à étudier en profondeur l’histoire du territoire. C’est sur cette histoire, la grande et la petite que s’établit la prospective. Le planificateur confronte les élus, explique la nature primordiale de l’espace, la cause de son état actuel. Il demande à ces élus, représentant de la population, ce qu’ils choisissent parmi les options possibles. Il est capable, surtout avec les outils à sa disposition de faire une photographie, d’illustrer dans l’espace la conséquence des choix possibles. De lui permettre aussi de corriger les erreurs du passé. Aidé des ressources appropriées, il peut l’éclairer sur les futurs flux économiques engendrés par les futurs règlements, et l’évolution subséquente des taxes. Et ces élus doivent rendre compte de manière didactique, simple, à ceux qui leur ont permis de s’asseoir dans ces sièges. C’est-à-dire leur expliquer que les options choisies sont issues de l’essence même de l’endroit où ils sont nés, ou qu’ils ont choisi d’habiter. Le planificateur sait que nous ne sommes pas seulement des machines à dépenser, à remplir des paniers de supermarché. Le planificateur est comme nous, il est à la recherche de sens et de qualité de vie. Ne pas suivre cette méthode de pur bon sens, c’est avoir un dessein caché, ce que je ne peux croire.