Nourrir l'enfant qui est en nous
Par Thomas Gallenne
Comme individu, nous sommes la somme de toutes ces expériences vécues depuis notre naissance. Cela en fait des couches, des strates de souvenirs, de pensées, de sensations, d’émotions. Et les vacances ont une place particulière, selon moi, dans la construction de notre être. Est-ce la liberté que je vivais étant petit, le fait de vivre un plein été avec mes grands-parents, le fait de rencontrer de nouvelles personnes, de changer de lieu? Quoi qu’il en soit, ces moments ont un rôle fondateur.
Il y a les lieux et il y a les gens.
Pour ma part, deux lieux ont marqué mes vacances estivales d’enfance : juillet se passait à Roffiac dans le Cantal et, en août, j’allais à La Flotte-en-Ré en Charente-Maritime. Deux lieux aux antipodes.
Le premier dans le Massif Central, en la magnifique région de l’Auvergne, pays des volcans anciens, de la Planèze (hauts plateaux arides), avec la mousse sur ses pierres qui vous racontaient l’Histoire, son chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, identifié par ses bornes en pierre dans lesquelles une coquille Saint-Jacques était gravée, ses églises romanes datant du XIe siècle. Ses magnifiques salers, vaches typiques du Cantal. Et sa bouffe riche, dans tous les sens du terme.
Je me souviens petit, avec mon frère, j’allais chercher le lait frais, tiède, sorti à peine du pis de la vache. Je partais de chez ma grand-mère maternelle, faisais le tour du pâté de maisons avec mes bottes en caoutchouc deux fois trop grandes pour moi. J’arrivais à l’étable et la dame, dont je ne me souviens plus du nom, nous remplissait la cruche en aluminium. Et je me retrouvais immanquablement avec une épaisse crème dans mon bol de chicorée.
Je me souviens de mes longues balades dans les champs, dans les forêts, le long des rivières, en quête d’aventure. Je partais, avec mon frère, au lever du soleil et nous revenions, éreintés, en son coucher. Vidés d’énergie, mais emplis d’expériences de toutes sortes. Je maniais déjà l’Opinel, ce couteau savoyard de travail à la lame en carbone qui brunissait au contact de l’eau, avec sa virole pour bloquer la lame et son manche en bois de hêtre. J’en ai passé des heures à tailler des bâtons de noisetier, à ciseler l’écorce d’un marron foncé pour faire apparaître des entrelacs et autres dessins dans le bois blanc. Et quand il faisait trop chaud et sec, nous faisions la sieste dans la maison fraîche aux murs épais de la famille. Et plus tard, sous un arbre.
Et le mois d’août, nous avions la chance, mon frère et moi, de le passer sur l’île de Ré, en face de La Rochelle. Le paradis sur terre. Le petit port sympathique de la Flotte, son marché à la criée directement sur le port où les pêcheurs vendaient leurs poissons fraîchement pêchés. Il y avait aussi son autre marché à la place… du marché, pour acheter toutes sortes de produits locaux, comme ses succulentes pommes de terre nouvelles qui poussaient dans la terre sablonneuse.
Il n’y avait pas d’artifice, pas d’événement particulier. L’événement, c’était la vie qui grouillait de gens, des locaux et des touristes qui se rencontraient. Des enfants qui criaient en se courant après. Des jeunes qui passaient sur leur scooter. De la jolie jeune femme qui passait dans sa robe légère devant les vieux assis sur leur banc et qui la zieutaient sans détour, les moustaches frémissantes, les sourires en coin.
La Flotte était une petite ville à échelle humaine, avec ses ruelles et ses venelles trop étroites pour qu’une auto y passe, où poussaient comme le chiendent les roses trémières et les belles-de-nuit, entre le pavé et les murs blancs des résidences. Ces résidences aux hauts murs blancs flanqués de portes cochères et troués de rares fenêtres aux volets en bois peints en vert. Et quand vous aviez la chance de jeter un œil dans une ouverture, vous découvriez de véritables petits paradis, des jardins intérieurs, oasis de verdure, avec leurs palmiers, leurs plantes grasses et leurs fleurs multicolores. Et tous ces vieux murs de pierres tenus par un mortier mou que nous prenions plaisir, mon frère et moi, à gratter, jouant dans le trou de la toile pour faire jaillir l’araignée aux pattes velues, nous donnant un coup au cœur.
Nous passions un mois entier avec nos grands-parents paternels. Mon grand-père qui se gavait de poisson et de crabe. Ma grand-mère au cœur d’or avec qui nous arrivions toujours en retard au cinéma… et qui nous gâtait comme si nous étions les huitième et neuvième merveilles du monde!
Et les copains et les copines que nous nous faisions en claquant des doigts. Nous transformions nos désœuvrements respectifs en aventures extraordinaires, mémorables, épiques. Il n’y avait pas de camp de jour. Pas de parents sur le dos. Pas de jeux vidéo, ni de téléphone portable ou de tablette. Une simplicité, une authenticité.
Des moments de pur bonheur. Tout simplement. Et voilà ce que je souhaite à tous les enfants du monde. Et à l’enfant qui est en nous. Il suffit de savoir le cultiver, en le nourrissant de choses simples. Mais essentielles.