Projet d'exploration minière: les citoyens se mobilisent

Par Thomas Gallenne

Des données préoccupantes

Malgré le début des séries de la LNH, des centaines de personnes s’étaient massées en l’église de Saint-Hippolyte, pour assister à une séance d’information concernant un projet d’exploration minière. Et venir entendre Ugo Lapointe, géologue de formation, et Me Nicole Kirouac, avocate, de la Coalition pour que le Québec ait meilleure mine. 

«Saint-Hippolyte est capable de se mobiliser, on en a la preuve!» a lancé d’entrée de jeu le maire Bruno Laroche sous une salve d’applaudissements. Il rappelle comment toute l’histoire a débuté. Une discussion a priori anodine entre deux citoyens. «On l’a su dans un Bonichoix», décrit le maire pour illustrer la façon cavalière dont s’est prise la compagnie d’exploration, ne daignant même pas informer les autorités de leurs intentions. Dans la salle, le monde est attentif. L’on sent toute la fébrilité d’une communauté, fermement décidée à ne pas se laisser faire. Mathieu Meunier, rappelons-le est le citoyen par qui l’affaire a été dévoilée au grand jour. Il est présent, muni de son dossier posé sur les genoux, épais de 15 pouces. Au moins. Assis au premier rang, le député Claude Cousineau. «On n’est pas contre le développement minier, mais pas en zone de villégiature!», lance-t-il. Nouvelle salve d’applaudissements. 

Le projet Red Pine Lake

Ugo Lapointe présente le plan de la soirée: partager des informations, de base certes, mais critiques, et voir ce qui peut être fait (la suite des choses). Après avoir présenté rapidement la coalition dont il est le porte-parole, il entre dans le vif du sujet. Le projet Red Pine Lake de Pacific Arc Ressources comprend 57 claims, étendus sur 3000 hectares, dont l’échéance arrive à terme s’ils ne sont pas renouvelés d’ici 2012. Entre 2008 et 2010, des levés géophysiques ont été pris depuis le sol et par hélicoptère. En avril 2011, le début des forages est prévu, pour une vingtaine de trous, d’une profondeur comprise entre 100 et 300 mètres, pour un total de 3000 mètres. Leigh Cassidy, de la compagnie d’exploration Ontrack, avait d’ailleurs indiqué au maire Laroche, la semaine précédent la séance publique, qu’un premier terrain serait exploré dans le courant du mois d’avril. Le gîte a été estimé dans les années 1960 à 60 millions de tonnes de minerai (fer et titane), mais selon M. Lapointe, les normes seraient désuètes. La compagnie d’exploration, basée à Vancouver, détient un capital boursier estimé à 5,7 millions de dollars (compagnie junior) et gère deux projets au Québec, l’un dans les Laurentides, l’autre à Fairmount sur la Côte-Nord. 

Mise en contexte

Le jeune géologue explique ensuite le cycle minier, lequel commence par l’exploration, se poursuit avec l’exploitation pour se terminer avec la restauration (fermeture du site). Il faut savoir que l’exploration, pouvant durer jusqu’à 10 ans, a un impact important sur l’environnement: voyage de machinerie lourde, décapage du sol, perçage, etc. L’exploitation ensuite, est soit souterraine, soit à ciel ouvert, cette dernière laissant la plus grande empreinte sur le territoire, soit des trous pouvant atteindre jusqu’à 2,5 km de diamètre comme à Malartic. Si la cicatrice laissée dans la terre est un enjeu de taille, ce n’est rien comparé à la dernière phase. «On a un problème au Québec au stade de la fermeture, c’est là que le bât blesse!, affirme Ugo Lapointe. On l’a dénoncé, et le vérificateur général nous a donné raison lors des audiences du BAPE en 2009». Selon lui, les coûts moyens de 650M$ pour restaurer les sites miniers au Québec sont sous-estimés. «La Coalition pense que c’est au dessus du milliard, affirme-t-il. Et on ne parle pas des résidus (potentiellement toxiques) qu’il faut gérer».

L’urgence de réformer les lois

Selon lui, il est nécessaire de réformer le secteur minier au Québec. «Pour cela, il faut revoir la Loi sur les mines, mieux protéger les droits des citoyens, renforcer les droits des municipalités, mieux partager la richesse collective (redevances) et renforcer l’encadrement environnemental, explique le porte-parole de la coalition. On ne s’oppose pas aux mines, mais on veut que cela se fasse bien. Or, il y a un sérieux problème au niveau du contrôle, et ce déficit a été noté par le vérificateur général». 

Face à ce constat, que peuvent faire les citoyens, les pouvoirs territoriaux ? Ugo Lapointe apporte quelques pistes de réflexions telles que former un comité citoyen de vigilance, envoyer des lettres à la compagnie, aux élus, au gouvernement, ou encore lancer une réflexion commune en région: veut-on des mines, oui ou non ? «Je suis agréablement surpris de voir que le maire et le député ont eu une vision claire sur la place des mines ici», lance-t-il, soulignant du même coup que les gestes déjà posés par la communauté (une résolution du conseil et une pétition), envoient un message clair à Québec et aux élus, à l’effet qu’il faut revoir de fond en comble les lois sur les mines et sur l’aménagement et l’urbanisme. 

«Souvenez-vous! Dites-vous qu’il n’est jamais trop tôt pour agir!», de lancer Ugo Lapointe, en guise de conclusion à sa présentation. 

L’esprit de la Loi

Me Nicole Kirouac, de son côté, a énoncé quelques articles pouvant intéresser l’auditoire. L’article 967 du Code civil peut rendre responsable celui ayant accepté tous travaux miniers, des désagréments causés au voisinage. Également, l’article 235 de la Loi sur les Mines, indique que pour venir faire de l’exploration sur un terrain privé, la minière a besoin de l’autorisation du propriétaire, sinon c’est l’expropriation. Cependant, elle tempère cet article arguant que l’expropriation pour fins d’exploration est extrêmement rare. Suite à une rencontre avec le sous-ministre, ce dernier lui aurait répondu dans une lettre, qu’«implicitement, l’article de loi permet d’interdire l’accès à la minière», a-t-elle lu.

Des citoyens préoccupés

Une douzaine de citoyens ont défilé, soit pour obtenir plus d’information, soit pour exprimer leur opinion. L’artiste Vincent Lemay

-Thivierge. citoyen de Saint-Hippolyte, a déclaré que «l’exploration minière était rendue aux portes de la Ville!». Il a aussi soulevé la question de l’utilisation du carbone pour extraire le fer. Ugo Lapointe a répondu que l’impact d’une mine à ciel ouvert était sans commune mesure, invoquant les millions de tonnes de résidus contenant des matières toxiques, demeurant sur place à perpétuité, sans parler des autres nuisances (bruit, poussière, vibrations), et du pompage de l’eau. «Une mine comme Osisko, utilise jusqu’à 25 millions de litres d’eau par jour, précise-t-il. L’impact sur les nappes phréatiques est majeur». Ce chiffre a fait bondir l’auditoire.

«S’il n’y a pas d’exploration, il n’y aura pas d’exploitation!», de lancer le docteur Richard

Carignan, salué par des applaudissements nourris. 

Mais il ne faut pas crier victoire, de rappeler d’autres intervenants, prônant la vigilance. «On fait des rondes, ma femme et moi, déclare Mathieu Meunier. Et j’ai des espions!». Rires dans la salle. Luc Baril, rapporte que 681 résidents sont touchés par les claims. «Sur cette liste, une vingtaine a été approchée et moins de la moitié aurait signé», ajoute-t-il. À son tour, Marc-André Morin, candidat NPD dans le comté voisin, ajoute que la loi sur les mines en est une «coloniale pour pillier les ressources et chasser les indigènes». 

La séance s’est terminée peu après 22 heures, les intervenants quelque peu fatigués, mais satisfaits du devoir accompli, et de voir autant de mobilisation de la part des citoyens.

Alors que les trois maires, concernés par de l’exploration minière, rencontraient la ministre Courchesne en ce lundi 18 avril, un
doute subsiste. Si des claims actifs permettent à des compagnies minières de procéder à de l’exploration à Saint-Hippolyte, qui dit que cela ne s’est pas fait ailleurs dans les Laurentides?

Thomas Gallenne

Une carte éditée par le ministère des Ressources naturelles et de la Faune et datant de juin 2010, indique la présence de plusieurs centaines de claims, répartis sur le territoire des Laurentides. On note ceux chevauchant les municipalités de Saint-Hippolyte, Sainte-Adèle et Sainte-Marguerite. Mais on remarque aussi la présence de claims à Morin-Heights, Ivry-sur-le-Lac et Sainte-Lucie-des-Laurentides. 

La compagnie Ontrack Exploration Ltd, possède les claims des gisements Red Pine Lake, à Saint-Hippolyte, Morin-Heights et Desgrobois. La compagnie explique que «le gisement de Morin-Heights se trouve dans une zone qui est bien connue pour héberger du minerai de fer et des dépôts de titane». Elle explique ensuite que le gisement comprend «plusieurs zones cibles de titane de haute qualité et une bonne minéralisation de la teneur du minerai de fer». Elle précise cependant que les limites des zones minéralisées cibles ne sont pas complètement définies. Elle finit son texte en indiquant les teneurs en titane et en fer de plusieurs échantillonnages de surface dont les fourchettes se situent entre 37,77% et 27,63% pour le fer et entre 28,62% et 18,63% pour le titane.

Questionné sur le sujet, le maire Tim Watchorn dit connaître la présence de ces anciens gisements, mais ne sait pas si les droits miniers sont toujours actifs. Il semblerait que oui si l’on se fie à la carte. Mais où est Desgrobois ? Mystère… jusqu’à ce que…

Un citoyen des Laurentides poursuit une compagnie d’exploration

«Nous avons eu la visite de prospecteurs miniers, il y a quelques années, confirme le maire d’Ivry-sur-le-Lac, Kenneth Hague. Ils ont effectué des levés par hélicoptère et au sol». La phase exploratoire a été menée au printemps 2008, par la compagnie montréalaise Géon, pour le compte de la compagnie minière Trijet Inc. Or, durant les travaux d’exploration, un propriétaire aurait constaté des dommages fait à ces arbres. De plus, la lettre d’avis envoyée aux propriétaires par Géon, ne faisait aucune mention d’entente ou de permission. Cette omission contrevient à l’article 235 de la Loi sur les mines, comme l’a indiqué plus tard la directrice des titres miniers au ministère des Ressources naturelles et de la Faune, Lucie-Sainte-Croix, dans sa réponse à un courrier du maire inquiet. «Le citoyen a depuis intenté une poursuite contre la compagnie», de préciser Ken Hague. Trijet Mining Corporation, basée elle aussi à Vancouver, possède 54 claims, s’étendant sur 2387 hectares, soit la majeure partie du lac Manitou, jusqu’au-delà de la route 117. Son projet d’exploration porte le nom de «Ivry Desgrosbois project». Et ce n’est pas le nom d’un film d’horreur! C’est la réalité…

Voir autre texte en page 21.

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