Un des sites de forage du projet la Loutre de Lomiko Metals dans la municipalité de Lac-des-Plages. En avant-plan, on aperçoit l’équipement de forage, alors qu’en arrière-plan, on retrouve le lac Doré. (Photo : Regroupement de Protection des Lacs de la Petite-Nation)
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Ruée incontrôlée vers les claims miniers

Par Ève Ménard - Initiative de journalisme local

Depuis les 18 derniers mois, le nombre de claims miniers dans les Laurentides a augmenté de 71 %. Des élus et des organisations s’inquiètent de plus en plus de l’exploration minière et se font insistants auprès du gouvernement : l’octroi de nouveaux titres miniers doit cesser, le temps de réorganiser le cadre législatif, réclament-ils.

C’est quoi, un claim?

Au Québec, le claim accorde le droit exclusif à son détenteur de procéder à des travaux de recherche de substances minérales. Un claim s’achète en un clic, en ligne, pour une cinquantaine de dollars, souligne Ugo Lapointe, cofondateur de la coalition Pour que le Québec ait meilleure mine!. Il s’agit d’un droit acquis d’une durée de trois ans, renouvelable indéfiniment, à peu de frais. Pour procéder au renouvellement, le détenteur doit seulement prouver qu’il a dépensé une somme minimale en exploration au cours des trois dernières années. La présence de claims entraîne des travaux d’exploration minière qui peuvent prendre la forme de forage, de décapage et de déboisement. Ces travaux empêchent l’aménagement planifié d’un territoire, en plus de nuire au développement de nouveaux projets, déplore la coalition. Deux types de droits existent dans le domaine minier : le claim, qui permet d’explorer, puis le bail, qui permet d’exploiter, indique M. Lapointe. Ainsi, dans l’éventualité où des travaux d’exploration mèneraient à la découverte d’un gisement, le détenteur du claim peut entamer un processus d’évaluation environnemental et d’obtention de permis pour faire l’acquisition d’un bail minier. Celui-ci confère le droit, cette fois, d’exploiter. « Ultimement, ça peut même mener à l’expropriation », complète Ugo Lapointe.

Les zones touristiques ne sont pas à l’abri

Les aires protégées comme les parcs nationaux ne sont pas accessibles aux claims miniers. Or, les parcs régionaux ou les zones récréotouristiques le sont. C’est ainsi que la compagnie Lomiko Metals a procédé cet été à 120 trous de forage en plein cœur d’une zone récréotouristique à la frontière des Laurentides, sur le territoire de la municipalité Lac-des-Plages, dans la MRC de Papineau.

Plus près de chez nous, des claims miniers sont apparus dans le Parc Éco Laurentides situé à Mont-Blanc, précise le préfet de la MRC des Laurentides, Marc L’Heureux. La MRC a pourtant reçu un mandat de gestion et de développement de ce parc, via le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN), indique M. L’Heureux. Ce dernier déplore le manque de cohérence entre les attentes en termes d’aménagement du territoire et l’octroi de claims miniers qui rendent impossible la poursuite du développement ou des activités dans certains secteurs.

En date d’août dernier, 3 160 titres miniers étaient actifs dans la région des Laurentides. À la grandeur du Québec, on parle de 11,3 millions d’hectares, ce qui équivaut à la superficie totale de la Belgique, du Danemark et de la Suisse réunis, fait remarquer Mines Alerte Canada. Mais pourquoi cette ruée vers les ressources minérales?

Le graphite pour électrifier les transports

Le graphite est une substance minérale nécessaire à la production de batteries destinées aux voitures électriques, d’où notamment la multiplication des claims et les besoins accrus en exploration, pour en trouver. Mais ce n’est pas la seule substance en demande : les projets pour le nickel et le zinc se multiplient aussi, indique Ugo Lapointe. La demande augmente mondialement pour les minéraux et les métaux. « On s’éloigne du pétrole et du gaz et c’est une bonne chose. Mais ça signifie aussi qu’on doit extraire davantage », indique le cofondateur de la coalition Pour que le Québec ait meilleure mine!. Ce dernier souligne qu’il n’est pas contre cette activité minière, mais contre la manière dont elle est réalisée actuellement. 

« Le défi, c’est de le faire correctement. On ne peut pas dire d’un côté qu’on veut atteindre un objectif environnemental, en détruisant d’un autre côté l’environnement et les milieux naturels valorisés. Il faut être cohérent. »

Même son de cloche chez Marc L’Heureux qui comprend l’intérêt pour le graphite. « Nous devons participer à la transition énergétique », dit-il. M. L’Heureux n’est pas contre l’exploitation minière, mais il veut qu’elle soit mieux encadrée et concertée avec les acteurs municipaux.

« Les Municipalités n’arrivent pas, par exemple, à protéger leurs milieux récréotouristiques, les lacs ou les parcs régionaux. » – Ugo Lapointe

Ce dernier souligne que dans la MRC des Laurentides, le vecteur économique principal est l’offre de villégiature, les paysages naturels et le tourisme. « Et maintenant, on voudrait le remplacer par une autre activité économique que sont les mines. C’est ici que ça accroche : ça va à l’encontre du développement du territoire et de notre planification stratégique », soutient M. L’Heureux. Sur certains territoires, l’activité minière industrielle et de grande échelle est incompatible avec le tourisme et la villégiature.

Extraire, mais de manière intelligente

Pour Ugo Lapointe, il faut d’abord protéger les milieux naturels valorisés, et ensuite, laisser d’autres secteurs du territoire ouverts à l’activité minière.

 Des municipalités, des MRC, dont celle des Laurentides, et la coalition Pour que le Québec ait meilleure mine! demandent donc un moratoire sur l’octroi des nouveaux titres miniers afin d’une part, ne pas aggraver la situation, et d’autre part, se donner le temps de développer un nouveau cadre législatif. 

À ce sujet, on demande aussi la révision et la refonte de certains articles de la Loi sur les mines. Notamment, la Loi empêche le ministère ou les Municipalités d’agir sur les claims miniers existants, dénonce M. Lapointe. Or, certains se retrouvent actuellement sur des territoires touristiques, de villégiature ou même sur des parcs régionaux, dont l’activité est incompatible avec l’exploration minière.

Enfin, le mouvement demande que les critères d’application du TIAM (Territoire incompatible avec l’activité minière) soient eux aussi ajustés. Le TIAM est un nouvel outil mis en application pour la première fois en 2016. Il permet aux municipalités régionales de comté (MRC) de délimiter, dans leur schéma d’aménagement et de développement (SAD), des territoires incompatibles avec l’activité minière (TIAM). 

« Six ans plus tard, on remarque que certaines choses fonctionnent bien avec cet outil, mais que d’autres non. Les Municipalités n’arrivent pas, par exemple, à protéger leurs milieux récréotouristiques, les lacs ou les parcs régionaux », remarque Ugo Lapointe.

 C’est le cas dans la MRC des Pays-d’en-Haut, aussi touchée par l’exploration minière, entre autres à Wentworth-Nord. Le préfet, André Genest, est particulièrement inquiet de la hausse des activités minières sur son territoire. Depuis 6 ans, la MRC des Pays-d’en-Haut tente d’ailleurs de faire reconnaître des territoires incompatibles aux activités minières. 

« Mais on est toujours remis de six mois en six mois et ça n’a jamais été définitif, indique M. Genest. C’est préoccupant parce qu’il continue d’y avoir des claims miniers et s’il y avait finalement de l’exploitation minière, ce ne serait pas nécessairement compatible avec notre schéma d’aménagement. » La MRC des Laurentides a aussi soumis au ministère des territoires qu’elles considèrent incompatibles avec l’activité minière. Mais la carte a été refusée, puisqu’elle ne respectait pas les orientations gouvernementales, indique le préfet, Marc L’Heureux.

 Dans les dernières années, les municipalités, en tant que gouvernance de proximité, ont reçu davantage de pouvoirs, dont l’obligation d’aménager leur territoire. « Il existe une incohérence avec les lois actuelles », déplore le préfet de la MRC des Laurentides.

Un dossier à suivre dans notre prochaine édition du 19 octobre. 

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