Sexe 101 à Sainte-Adèle, suite: Parole aux jeunes

Par Thomas Gallenne

Et la tendresse, bordel!

Fin janvier 2011, le Bourbon Street Club de Sainte-Adèle organise un «Sexe Party». Des centaines de jeunes y participent, certains activement. Une sexualité explicite, mise en scène devant une foule en délire, et l’œil du photographe. Facebook, relais mondial instantané d’un «Samedi soir sur la Terre», comme l’évoquerait Francis Cabrel dans sa chanson. De nombreuses réactions ont suivi, de personnes offusquées; d’autres désabusées, peu surprises finalement que cela arrive. Et les jeunes dans toute cette affaire, qu’en pensent-ils?

Le phénomène de l’hypersexualisation est décrit par les spécialistes, comme étant une sexualité précoce, chez les enfants et les jeunes adolescents, se traduisant autant dans la mode vestimentaire que dans les mœurs sexuelles. Si le sujet ne date pas d’hier – déjà au milieu des années 2000, de nombreux articles l’ont abordé et plusieurs spécialistes, comme la sexologue Jocelyne Robert ou le sociologue Richard Poulin, ont fait part de leurs études, de leurs réflexions– il semblait intéressant de connaître la réaction de jeunes d’ici, face à de tels événements, face à de telles images. 

Le sexe a ses limites

La première réaction des jeunes rencontrés, filles ou garçons, était relativement identique: une certaine perplexité mêlée d’un soupçon de désabusement. Est-ce le recul face à l’événement, le fait qu’ils ne se sentent pas interpellés car ce genre de fête s’adressait a priori à un public majeur et vacciné ou encore au fait d’en avoir vu d’autres? 

Robin B., 16 ans, étudiant à l’Académie Lafontaine à Saint-Jérôme, serait sans doute allé à ce genre de fête en compagnie de ses amis. «Avoir eu 18 ans, y être allé avec des chums, peut-être ça aurait été le fun, raconte-t-il. Et si on m’avait pigé, je serais allé sur le stage! Mais le sexe, faut pas que ce soit “sale” ou ridiculisé. Faut que ça reste privé.» 

Anne-Sophie L., 16 ans, elle aussi de l’Académie Lafontaine, est plus cinglante: «de mettre ça au Bourbon Street Club, c’est une clientèle jeune, ils savaient qu’ils allaient créer une controverse, avance-t-elle, irritée. Ça donne une “image Bourbon”, négative en partant. Pourtant c’est un club pour danser, mais c’est le sexe qu’ils ont mis en avant. Ils ont voulu provoquer les jeunes, car ils savent que c’est attirant. Il peut y avoir un party sur le thème du sexe, mais je pense qu’il devrait y avoir une limite.»

Trouvent-ils qu’on parle trop de sexe, qu’on va trop loin? Anne-Sophie pense que cet événement était «un peu trop public». Selon elle, certaines personnes ont pu prendre cette fête à la légère, au second degré alors que d’autres l’auront interprétée au premier degré. Sa camarade d’école, Élizabeth G., 16 ans, précise: «il y en a que ça peut choquer, surtout les parents, croit-elle. Voir son enfant qui va là, c’est moins drôle.» Elle affirme qu’elle n’irait pas personnellement à ce genre d’événement, mais elle ne jugera pas les gens qui y participent.

Son frère Philippe G., 15 ans, étudiant au même établissement, trouve pour sa part qu’il est exagéré que ce type de fête se fasse en public. «Ça serait correct de faire un party sur le sexe, si c’était plus confidentiel», précise-t-il.

Rencontrés à Saint-Sauveur alors qu’ils se rendaient au centre-ville à pied, deux jeunes garçons de 14 ans, tiennent des propos allant dans le même sens.

«Je trouve cela déplacé de faire ça devant tout le monde, commente Nicolas B., étudiant à la Laurentian Regional High School, à Lachute et résidant à Saint-Jérôme, en réagissant devant l’exposé des événements. Et qu’en plus, ça se retrouve sur Facebook, me semble, ça va un peu loin», ajoute-il . Son camarade d’école qui l’accompagne nuance quelque peu son avis. «Peut-être que ces jeunes venaient là juste pour s’amuser, avoir du fun, avance Érik C., de Saint-Sauveur. Et si tu as 18 ans, après-tout, c’est correct, c’est un party. Mais faire ça en public, c’est pas bien.» Il ajoute que le phénomène Facebook peut se retourner contre soi. «Mettons que tu cherches une job, explique Érik, et qu’un employeur fasse des recherches sur toi et tombe sur ces photos?»

Sexe sur la place publique

Le Sexe party de janvier dernier au Bourbon a duré une soirée. Aussi loin que l’on puisse remonter dans l’histoire de l’humanité, les rites initiatiques reliés à la sexualité ont toujours existé, comme autant de défouloirs. Les orgies grecques ou romaines, les carnavals païens, pouvaient être autant de prétextes à vivre des excès, à briser l’ordre social et les tabous. À une époque où les valeurs traditionnelles, les rites initiatiques ont été bouleversés, à l’ère d’internet, où l’information circule à la vitesse de la lumière dans la fibre optique, le phénomène des médias sociaux s’ajoute à celui de l’hypersexualisation, comme s’ils se nourrissaient mutuellement. Une image vaut mille mots et prise hors contexte, elle peut faire (ou défaire) une réputation. Alors que certains jeunes sont parfois victimes de cyber-intimidation, d’autres encore alimentent cette image d’hypersexualité. Pour preuve, les photos prises lors du Sexe **Party** du Bourbon avaient été mises en ligne par le photographe officiel du club de danse, sur son profil Facebook. Les participants posaient volontiers, et certains pouvaient être identifiés par leur nom. À partir du moment où ces photos très suggestives sont facilement accessibles et diffusées largement de manière virale, les jeunes rencontrés, reconnaissent que la perte de contrôle de sa propre image est totale. «Le phénomène internet change beaucoup les choses, explique Élizabeth. L’information sur les réseaux sociaux circule très vite». Quand bien même un article de journal aura donné du sens à l’événement, beaucoup plus de gens auront vu la photo sur l’internet, selon elle, sans connaître le contexte. «Les gens commentent sans aucune gène ni aucun filtre, pense Élizabeth. Cela va avoir un impact sur notre génération. Et s’il n’y a aucun contrôle qui s’établit, cela va être de pire en pire pour nos enfants.»

Et la pression des pairs? Toujours selon elle, certains jeunes aiment s’exhiber, afficher leur vie sur Facebook. Cela revient à exposer sa vie privée sur la place publique. «Il y en a certains, des photos de même (en référence à la page couverture du journal **Accès**, édition du 2 février 2011), ça va les valoriser, croit Elizabeth. Ils vont trouver ça drôle que le monde aille voir leurs photos, voient qu’ils font plein d’affaires. Ils comparent leur vie en fonction des activités que font les autres.»

Quant à l’hypersexualisation dans les médias, dans le monde des spectacles, l’adolescente n’est pas dupe. «C’est du marketing!», lance-t-elle, laconique. Peut-on au moins limiter l’exposition des jeunes enfants face à des clips vidéos sexuellement explicites? «C’est sûr qu’il y a des avertissements destinés aux parents avant la diffusion de certains programmes», explique Elizabeth. Selon elle, c’est aux parents d’imposer des limites, d’empêcher les jeunes enfants de regarder des clips vidéos de chanteuses sexy. «Pour des petites filles de neuf ans, je pense qu’il y a plus instructif pour leur cerveau», lance l’étudiante.

De son côté, Érik trouve que les médias dramatisent beaucoup de choses: «Ça se faisait avant pareil ce genre de choses, c’est juste que l
‘info et les photos circulaient pas autant.»

Le rôle des médias, la pression des pairs. Seraient-ce les principales causes responsables du phénomène d’hypersexualisation chez les jeunes? «Qui a élevé cette génération-là?», lance Elizabeth, tel un pavé dans la mare.

****La sexualité des Y: reflet de notre société?****

Ces jeunes ayant participé au Sexe **Party** du Bourbon, avaient en moyenne entre 18 et 22 ans. Les jeunes que nous avons interrogés, ont entre 14 et 16 ans. Ces enfants nés au début des années 1980, jusque au tournant de l’an 2000, sont issus de la génération Y. Les parents des jeunes que nous avons rencontrés ont entre la fin quarantaine et le début de la cinquantaine. Des hommes et des femmes issus de la dernière vague du **babyboom** et du début de la génération suivante, les «X». Ces personnes ont connu de profonds bouleversements sociétaux, entre autre sur le plan de la sexualité, de la place des hommes et des femmes, et de leurs rapports entre eux. Ils ont vécu ces bouleversements, de l’intérieur. Ils y ont participé parfois et une fois parent, ont transmis des valeurs à leurs enfants. Ont-ils transmis une éducation sexuelle à proprement parler à leurs enfants? Pas nécessairement. Les jeunes parlent plutôt de valeurs que leur ont transmis leurs parents, telles que le dialogue et l’écoute. Malgré ce que l’on pourrait penser, les adolescents demeurent sensibles à ce que leur disent leurs parents. 

«Je ne serais pas content, si mes parents voyaient ça sur Facebook, ils seraient outragés», lance Robin. De son côté, Nicolas pense que si ses parents découvraient sa photo prise dans ce genre de fête, ils seraient offusqués. «Si mes parents voyaient ça, je crois qu’ils auraient une bonne discussion avec moi!», répond-il. 

S’ils admettent tous qu’il y a des limites à ne pas dépasser, qui devrait mettre des balises? Cela dépend de chaque famille reconnaissent-ils dans l’ensemble. Cependant, des parents trop stricts pousseraient selon eux les enfants à se rebeller. «Si c’est trop extrême, si les enfants sont trop limités, ils vont faire des excès, croit Érik. Moi, mes parents m’encouragent à faire mon expérience mais sans aller trop loin.» Élizabeth abonde dans le même sens. Sa mère considère que toute expérience ne vaut que pour soi-même et part du principe qu’il faut que «jeunesse se fasse». Toutefois, sans imposer de limites à son frère et elle, sa mère ne les laisse pas faire n’importe quoi.

****Génération sous pression****

De leur propre aveu, les jeunes interrogés s’imposent également des balises, selon leur propre jugement. Toutefois, la pression des pairs peut pousser certains jeunes à poser des gestes qu’ils pourraient regretter plus tard. «Il y a toujours eu une compétition entre les filles, explique Élizabeth. En faisant ça (en s’exhibant sur internet), les jeunes se mettent de la pression, en se «crinquant» sur Facebook. C’est à celui ou celle qui aura le plus d’activités. **Get a life**! Il y en a pour qui leur vie se résume à ce qui se passe dans Facebook.»

L’importance des modèles véhiculés dans les médias alimente l’imaginaire collectif de cette génération. Une génération nourrie d’image, avide d’image et soucieuse de sa propre image. Pourtant s’exhiber de la sorte ne participe-t-il pas à dénigrer la femme? «Les femmes chialent d’être prises pour des objets (sexuels), mais certaines participent à ça en alimentant cette image de femme-objet, pour faire plaisir à leur **chum**, pense Elizabeth. Il y a des filles qui veulent trop plaire, et elles vont trop loin.» Existe-t-il encore de nos jours un rapport de force parmi les adolescents, sur les questions entourant la sexualité? Dans un certain sens, oui, admettent les étudiants de l’Académie Lafontaine. «Le gars peut mettre de la pression sur la fille pour avoir des rapports avec lui, mais les filles entre elles aussi peuvent se mettre de la pression, admet Elizabeth. C’est à la fille de gérer cette relation, de mettre ses limites, et de faire l’amour avec son copain quand elle se sent prête.» Elle rappelle également que les jeunes ne réalisent pas toujours la portée de leurs actes et des répercussions qu’ils engendrent. «En tant que parent, c’est important de faire comprendre à son enfant cette notion-là», croit-elle.

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