Un dimanche à l’église

Par Éric-Olivier Dallard

Un dimanche matin du mois d’août 2011.

Un p’tit déj’ sur la terrasse des Deux Richard, à Sainte-Agathe-des-Monts, avec la Douce et le Mignon. Au moment de payer au comptoir, la serveuse me tend un papier invitant à une vente du genre marché-aux-puces-au-profit-de-je-ne-sais-plus-quelle-cause-ou-organisme, et qui se tient le week-end même à l’une des églises de l’endroit. «C’est gros comme événement», cherche-t-elle à me convaincre. Pourquoi pas? La lac Lagny attendra bien quelques instants. L’église donc. Vous savez, l’une de ces «nouvelles églises», qui n’ont fait qu’un temps, comme les «maisons modernes» des années 1980.

Déjà sur le stationnement, des breloques à la naphtaline, presque jusqu’au parvis. Et puis l’entrée… Surtout l’entrée. Placardée sur les portes (du temple!), cet écriteau: «Bancs d’église à vendre. Faites une offre.» Je vous passe les détails sur l’intérieur: de la nef jusqu’à la sacristie, babioles usagées et vêtements usés. Enfin: les profits, c’est pour une bonne cause, alors la conscience s’accommode.

Mais je reviens aux portes et à l’écriteau: «Bancs d’église à vendre. Faites une offre.»

Comme l’on vendait les bancs de l’ancien Forum de Montréal lors de son démantèlement. Exactement. Sauf que ces derniers se sont – nul doute là-dessus – vendus mieux et à meilleur prix… La Sainte-Flanelle a plus de valeur de nos jours que tous les Saints de la chrétienté réunis.

Je ne peux cesser de penser aux gens baptisés en ce lieu, unis en ce lieu, dont la mort fut célébrée en ce lieu. Et je ne peux cesser de penser à ma propre foi, qui sent, elle aussi, un peu la naphtaline. Mais à laquelle je demeure pourtant infiniment attaché et ne braderais pour rien au monde. Je ne peux cesser de penser que le judéo-christianisme nous a définis, Occidentaux, plus que tout autre mouvement politique, et particulièrement au Québec (pensons simplement aux noms de nos villages, de nos rues – Saint-Sauveur, Sainte-Agathe, Sainte-Adèle, Sainte-Anne-des-Lacs; pensons simplement aux raisons qui nous poussent à aider notre prochain à travers les causes humanitaires que nous soutenons encore massivement au-delà des reçus pour fins d’impôts, etc…) Non, je ne peux cesser de penser que le judéo-christianisme nous a définis et qu’il nous définit encore, même malgré nous, malgré le siècle des Lumières, malgré l’omnipotence de la Science. Qu’il a été l’un des vecteurs fondamentaux de la Civilisation Majuscule telle que nous la connaissons. L’État-providence, le Socialisme, l’Égalité, la Charte des Droits, l’ONU, le Bénévolat, l’aide au tiers-monde: tout cela plonge ses racines là. Dans l’Église. Que l’on démantèle. Que l’on transforme en condos-de-luxe. Que l’on vide de son Sens. Dont on vend les bancs où se recueillaient les Fidèles.

Thomas Gallenne, mon futé adjoint de Rédaction chez Accès, alors que je lui raconte la chose et mon désarroi face à elle, me lance: «Ne sois pas surpris. La même chose s’est passée dernièrement à Sainte-Anne-des-Lacs: les bancs de l’église à vendre…» Sans doute avant le métal des cloches, à moins qu’il ne soit pillé avant d’être vendu, comme ce fut le cas récemment dans cette chapelle de la 364, entre Morin-Heights et Saint-Adolphe-d’Howard.

L’an dernier le conseil municipal de Saint-Sauveur avait émis un «avis de réserve» sur les terrains situés à l’entrée du village, à l’angle du chemin Jean-Adam et de la rue de la Gare, question notamment de s’assurer que les bâtiments à y être construits le seraient en harmonie avec l’image de l’endroit, dans une harmonie que le Conseil entendait voir préservée. J’avais alors fait la Une d’Accès avec la nouvelle, titrant: «Le Maire prend le contrôle de l’entrée du village». C’était une bonne idée, cet «avis de réserve»: l’entrée du village est un peu notre carte de visite, la façon dont nous nous présentons au Visiteur, l’image qui définit la carte postale de ce que nous sommes. Finalement, les édifices qui s’y érigent semblent être en conformité avec cette image, champêtres et «montagnards»… Sauf que…

… Sauf que… avez-vous remarqué à quel point son édification escamote depuis la 364 (Jean-Adam) la vue sur le clocher de l’église sauveroise, ce point de repère qui fut celui de nos âmes durant des générations? Mais cet aspect des bâtiments et de leur emplacement sur les terrains était sans doute bien secondaire dans l’évaluation qu’en a fait le Comité consultatif en urbanisme… Comment leur reprocher de ne pas l’avoir considéré (si tel est bien le cas), à cette époque où les places de stationnement ont plus d’importance pour une municipalité (et ses citoyens et ses visiteurs) que toutes les églises et leur rayonnement?

Cela vous choque-t-il? Avez-vous l’impression que l’on efface-là un peu de ce que vous êtes, de ce qui vous a bâtis comme citoyens? Ou bien cela va-t-il dans le sens de l’abandon des prières en introduction des conseils municipaux, de l’effacement du crucifix dans les institutions publiques, de la laïcité ambiante?

L’abandon de la Foi catholique, la critique de son pouvoir et de ses symboles, porte avec lui bien des avantages: mise au rancart des dogmes et des superstitions, des hypocrisies, des iniquités et des horreurs commises «au nom de Dieu»; victoire d’une certaine démocratie libérée (et libertaire) sur l’arbitraire. Mais cet abandon (sans doute salutaire) emporte aussi avec lui une grande part de ce qui a bâti notre humanisme et nos civilisations, jusque dans nos lois, codes civils et codes criminels: aide à son prochain, sensibilité à la condition de l’Autre, main tendue aux plus faibles, justice, pardon et réconciliation… Cet abandon emporte avec lui tout un pan de notre Histoire, encore fort récente; cet état de fait ne peut être nié, même si l’on souhaitait le renier. Le plus agnostique d’entre nous ne peut réécrire l’Histoire à sa façon, la placer sous son éclairage à lui: l’Église et nos églises ont contribué fortement à construire le Québec que l’on connaît aujourd’hui. L’oublier, l’oblitérer, c’est faire une entorse à notre Histoire.

Dans leurs schémas d’aménagement, nos MRC n’ont-elles pas défendu la mise en valeur de notre patrimoine, dont l’illustration la plus vive demeure notre «patrimoine bâti»? Dans les Laurentides, ce qui s’est passé avec Saint-Francis-of-the-Birds et ce qui se passe avec les bâtiments de l’entrée du village de Saint-Sauveur ne va-t-il pas à l’encontre de ces directives?

Dans un même ordre d’idée, l’exposition Colle, Papier, Ciseaux, présentée au Musée des religions du monde, de Nicolet, est consacrée au trente ans de carrière de Claude Lafortune. L’Évangile en papier (1975-1976) aura marqué la télévision québécoise. Cette œuvre était visionnaire jusque dans son titre: l’Évangile n’était bien que de papier.

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