(Photo : Courtoisie)
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Riopelle et les Laurentides

Par Frédérique David

Il aurait eu 100 ans le 7 octobre dernier. Jean-Paul Riopelle est célébré partout depuis des mois, dans la province qu’il affectionnait tant, sur tout le territoire auquel il a rendu un hommage magistral sur toile. Riopelle est magnifié de toutes les façons : exposition immersive, livres, pièce de théâtre. Il y aura même un « Espace Riopelle » au Musée national des beaux-arts du Québec. Bref, l’œuvre de l’artiste est mise en valeur partout, ou presque.

Dans ce « presque », il y a les Laurentides. Une région que Riopelle a habitée, aimée et dont il s’est inspiré. Un passage de plusieurs années dont il ne reste rien, sinon un atelier que l’on rêve depuis longtemps de voir transformé en musée.

Je n’ai pas eu la chance de rencontrer Riopelle. Ce regret m’habite depuis sa mort, tant je suis fascinée par sa vie, éblouie par son œuvre, intriguée par sa personnalité. Alors j’ai visité maintes expositions, lu des récits qui le raconte, écouté le formidable balado « Dépeindre Riopelle » de Stéphane Leclair, interviewé sa fille Yseult Riopelle qui a accompli un travail colossal pour créer un Catalogue raisonné de Jean-Paul Riopelle, rencontré son ami Champlain Charest et fait quelques pas sur ses traces, à l’invitation de ce dernier, à l’atelier du géant, à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson.

Ma rencontre avec Champlain Charest

Je me souviendrai toujours de cette rencontre, à la mort de Riopelle. Nous étions assis à une table du défunt et réputé Bistro à Champlain, à Sainte-Marguerite. J’étais éblouie par l’immense toile flamboyante de Joan Mitchell qui occupait tout le mur à côté de nous. Le bistro était définitivement fermé, mais tout était encore en place, comme à l’époque glorieuse où il faisait la renommée du radiologiste devenu restaurateur et collectionneur de vin. Les œuvres de l’ami Riopelle parsemaient la place. Je pouvais imaginer l’artiste entrer dans la pièce et venir s’accoter au comptoir après avoir peint pendant de nombreuses heures, enfermé dans son atelier. Champlain, le grand ami, le fidèle partenaire, me racontait les nombreuses anecdotes de leur relation, à commencer par leur rencontre à Paris, alors qu’il avait tiré au poignet une toile du peintre, à trois heures du matin, au milieu d’une rue de Montparnasse.

Champlain Charest était à l’origine du retour de Riopelle au Québec. Le fidèle ami avait convaincu l’artiste de quitter Paris et de venir s’établir près de chez lui à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson. En 1974, il avait fait construire une maison-atelier à côté de chez lui. La relation de Riopelle avec Joan Mitchell tirait à sa fin. Il est revenu pour vivre son histoire d’amour avec Hollis Jeffcoat au cœur des Laurentides. Il faut lire le formidable roman-essai de Martine Delvaux, « Ça aurait pu être un film » pour découvrir cette partenaire de vie restée dans l’ombre du grand peintre. On y découvre un bout d’histoire de ces années où Hollis s’était liée d’amitié avec Bonnie Baxter. Riopelle cherchait un atelier de gravure. Bonnie avait créé l’Atelier du Scarabée, à Val-David, en 1982. Ils se sont rencontrés chez lui, à Sainte-Marguerite et ont travaillé ensemble presque dix ans.

Des anecdotes, des amitiés, un atelier

Lors de ma rencontre avec Champlain Charest, à la mort de Riopelle, j’ai été abreuvée d’anecdotes qui ont parsemé la vie de l’artiste énigmatique. À Sainte-Marguerite, il conduisait un corbillard immatriculé « DCD » qui s’avérait pratique pour transporter ses toiles. Champlain était aussi son partenaire de chasse et celui qui lui a fait découvrir les grands espaces nordiques à bord de son avion. Après les Laurentides, il s’établira à l’Isle-aux-Grues.

En mars 2002, il y avait encore de la neige quand j’ai marché jusqu’à sa maison-atelier inhabitée depuis des années. Je me sentais privilégiée de pénétrer ce lieu de tant de rencontres, de moments de vie, de rires, de partages, d’inspirations, de créations. J’ai senti qu’il fallait en faire un lieu de visite en hommage à ces années laurentiennes du grand peintre. Douze ans plus tard, j’ignore ce qu’il en est du projet. J’ignore ce qu’est devenu l’atelier.

En Europe, où Riopelle a vécu, on crée des espaces muséaux dans de petits villages où des artistes de renom ont vécu. On peut ainsi visiter la maison de Salvador Dali dans le petit village de Portlligat ou l’atelier de Paul Cézanne à Aix-en-Provence. Au Québec, on a le don de centrer tous ces lieux d’exposition dans des endroits qui n’ont aucun lien avec l’artiste, à Montréal ou à Québec. Riopelle a été un des plus grands artistes du Québec. Les espaces qui lui sont dédiés auraient dû être à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson ou à l’Isle-aux-grues.

Que reste-t-il du passage de Riopelle dans les Laurentides? Des œuvres d’une grande beauté, certes, mais aucun espace dédié à cette tranche de vie prolifique.

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